village de moissey, la carrière

les témoins de l'exploitation du porphyre

extraits de leurs confidences

recueillis par Christel Poirrier en 1996.

Thérèse Sigonney, née en 1915 et épouse de Victor Noël.

 

La carrière d'Eurite, sur le CD 37,

Elle est née vers 1925 et tourne encore à la fin du siècle, en extrayant un porphyre "bleu" de toute bonté mais aussi de toute beauté.

Madame Noël la connaît bien, non seulement parce qu'elle a été ouverte au moment où elle était gamine, mais surtout parce que son mari y avait travaillé au temps de la gérance de Marcel Téliet. Victor Noël, lorrain d'origine, travaillait sur des chantiers de M. Téliet à Valdahon et à Besançon. Il était carrier et il y travaillait à l'entretien. A cette époque, M. Téliet employait pas moins d'une centaine d'ouvriers. Cette carrière qui existe toujours, a été conduite par la famille Pernot de 1960 à 1997.

Victor logeait à la pension Arsène Ardin (AB 71), juste en face de la Grande Fontaine et c'est au cours des déplacements ordinaires dans le village que Victor et Thérèse se sont rencontrés.

Marcel Guillaume, né en 1904, époux de Germaine Caillot, institutrice

 

Les Carrières de Moissey.

Je connais bien l'origine de ces carrières. Je les ai vu débuter. Il s'agissait de journaliers, qui travaillaient pour leur compte, employés par personne, c'étaient des prestataires. Ils livraient de la pierre à qui les payait. Ça a commencé à droite en montant. Un très bon casseur avait du mal à casser 1 mètre-cube par jour. Ils tiraient sur les Bois communaux de Moissey. Mais tout ça, ça a commencé bien avant moi. Depuis 1855 ? Oh, même sûrement bien bien avant.

Autour des années 1920, des terrains ont été expropriés pour être exploités par le service des Eaux et Forêts. Ils y employaient une quinzaine d'ouvriers à produire du ballast. Mais bien qu'ils aient rendu les terrains en 1925, ils avaient arrêté bien avant.

Plus tard, vers les années 1930, a démarré l'exploitation Téliet.

Firmin Béjean -le laitier- faisait le transport de pierre puis il a ouvert un vrai chantier, à côté, dans les Bois Besson, on l'appelait l'Eurite de la Serre.

 

Monsieur Téliet.

C'était un raide. Un dur. Capable sûrement, mais dur. Il avait des idées d'avant-garde, mais ce n'étaient que des idées. Par exemple, il avait le projet de creuser un canal de Rochefort à Auxonne, pour convoyer sa pierre. Vous rendez-vous compte ?

Armandine Odille (1913-1997), épouse d'Attilio Turchetto

 

C'est en 1933 qu'elle rencontre au bal, dans la salle de bal et de cinéma (AB 70) de l'Hôtel des Voyageurs (AB 71), en face de la Grande Fontaine du village, un jeune homme de 22 ans, né en Italie le 18 septembre 1912, qui s'appelle Attilio Turchetto.

Attilio est ajusteur, maréchal-ferrant forgeron et il travaille depuis son arrivée en France en 1931, dans l'entreprise de Marcel Téliet, à Clerval; il vit avec sa soeur et son beau-frère à Clerval. M. Téliet vient d'ouvrir sa Carrière de porphyre à Moissey et il a déplacé une partie du personnel qu'il employait sur ses autres chantiers.

Cette rencontre entre Armandine et Attilio se révèle décisive, puisque le 27 avril 1935, ils s'épousent devant l'adjoint Maurice Besson (qui remplace Ernest Odille le maire depuis 1925, père de la mariée), puis devant le Curé de Moissey qui est Léonide Richard.

Attilio est naturalisé le 5 novembre 1936. De ce mariage vont naître deux enfants,

- Anne-Marie, le 8 avril 1936, dans la maison où est Claude Rossetto, son futur cousin, (Anne-Marie se mariera en 1960 avec Michel Bourge, devant le maire Maurice Besson et le curé André Paget, et donnera le jour à Catherine en 1961 et Valérie en 1966),

- Jacques, le 24 juillet 1946, à la maternité de Dole, (Jacques aura deux enfants, Sophie en 1975 et Line en 1979.)

[Anne-Marie aime à souligner que Maurice Besson "a marié" la mère et la fille.]

Puis Attilio Turchetto quitte M. Téliet pour faire son service militaire à Auxonne, il part à la guerre, et il est fait prisonnier jusqu'au 2 mai 1945. Dès lors, il entre chez Razel à Foucherans où on entretient les wagons de la Société Solvay. La famille s'éloigne alors du village, Anne-Marie devient pensionnaire au Cours Supérieur Jeanne d'Arc à Dole, qu'elle quittera bac en poche pour embrasser la carrière d'institutrice.

Yvonne Tomczyk, née en 1931, épouse de André Giboudeaux, (né en 1929)

 

Les Carrières Téliet.

Nous étions de gros fournisseurs de viande pour la Carrière. Après la guerre, Monsieur Téliet occupait pas loin d'une centaine d'ouvriers et il avait créé une Cantine à Offlanges, une sorte de restaurant d'entreprise. On livrait dans la première pièce de la Maison Besson (AB 266), là où était la cuisine des Téliet (ce que les instituteurs appellent aujourd'hui le Salon de Lecture, puisque cet immeuble est devenu par la suite l'école à deux classes du village), ensuite, eux, avec des camionnettes, ils transportaient la marchandise à Offlanges.

Lorsque la Maison Besson (AB 266) était une habitation bourgeoise, l'esplanade qui sert de cour d'école était plus grande, et il y avait de jolis escaliers qui conduisaient au parc qui était splendide. Ce parc est maintenant communal et on l'appelle toujours le Parc.

Charles Mignot, né en 1914, époux de Albertine Enjolras, née en 1922. Charles est le frère de Marcel.

 

La Carrière d'Eurite, dans les bois Besson.

"Libéré du service le 11 août 1937, je suis allé travailler à l'Eurite de la Serre, (avec Alexis Aubert et des étrangers) dans les Bois Besson (cousin germain de Maurice Besson), avec Firmin Béjean. Chez Béjean, on produisait du ballast pour route, c'est à dire pour le sous-sol. On y faisait de l'extraction et du transport avec des camions à bandages.

Moi j'étais dans le trou. Certains faisaient des trous, et un artificier faisait "péter" le front de taille à l'explosif, pas une très grosse quantité puisque les tirs de mines avaient lieu tous les midis. Ensuite, les très gros morceaux étaient réduits à la masse, puis on chargeait dans les wagonnets (voie de 50 cm) à la main et à la fourche à pierres. Ensuite on poussait le wagonnet jusqu'au concasseur, on inclinait la benne pour le nourrir et on revenait à vide par un autre chemin pour recharger : le réseau de rails faisait une boucle. A vide, on ne faisait pas les ânes, il n'y aurait pas fallu, et puis, nous n'avions pas la tête à la rigolade car on faisait quand même nos 8 à 10 heures par jour. Dans le trou, nous étions 5 équipes de deux.

De temps en temps, on voyait Pierre Béjean, mais c'était rare. Nous étions commandés par un yougoslave qui s'appelait Tomitch, et qui n'était pas un mauvais bougre.

Puis l'entreprise a périclité et a fermé au début 1939.

 


Chez Marcel Téliet.

Alors, je me suis embauché environ trois mois -en fait jusqu'à mon entrée à l'école de gendarmerie- chez Téliet, juste à côté, qui exploitait sur du terrain communal, contre le CD 37",

Chez Téliet, on arrachait la pierre au pied même du concasseur, le P1, celui qui est au bord de la route et que tout le monde peu voir en passant. Au pied du concasseur, juste à l'ouest. Nous étions au moins 5 ou 6 mètres plus bas. Pour nourrir le concasseur, c'était bien plus laborieux. On poussait, au fond de notre trou les wagonnets jusqu'à la grue électrique. Elle attrapait les bennes (les bennes seulement, pas les châssis) qu'elle remontait jusqu'à une autre voie à niveau celle-là, qu'elle reposait sur des châssis et qui étaient poussées jusqu'à la bouche du concasseur. Le contre-maître Pavesi était extrêmement "difficile".

Il y avait beaucoup d'étrangers. Je me rappelle d'Attilio Turchetto qui faisait des fleurets dans la forge. Les fleurets sont les grandes tiges pour forer profond.


Marcel Mignot, né en 1912, époux de Denise Besançon, née en 1921. Marcel est le frère de Charles.

 

La Carrière d'Eurite.

Je l'ai vue quand elle démarrait. Quand j'allais tous les jours à la Sablière pour travailler, j'y passais en vélo. Il y avait un gars qui tirait de la pierre et qui la cassait, tout à la main. Il extrayait à droite, dans l'extérieur du virage en montant, c'est à dire sur une coupe communale de la réserve, et il emmenait son butin de l'autre côté, là où est le bureau de Camille Pernot. A droite, il y avait le trou, et à gauche, il y avait le tas. Même, il y avait plusieurs trous. Dans les années autour de 1920, quand j'avais 8 ans, nous allions nous baigner dedans, car dans les trous, naturellement, l'eau s'y mettait.

A cette époque, les carriers étaient carriers pour eux, comme les bûcherons indépendants. Ils travaillaient directement pour le compte du client.

Je me rappelle avoir vu le Joseph Raposo faire traverser la route, le CD 37, à des wagonnets, au moyen d'un treuil. Il les tirait jusqu'à un petit concasseur monté sur roues.

C'était en 1929, à mon avis, c'est à ce moment-là, ou alors début 1930, que Marcel Téliet est arrivé avec ses gars et s'est lancé dans l'exploitation "industrielle" de cette carrière.

Colette Jacquinot, 1931-1998, épouse de Georges Renaux, né en 1931.

 

En 1957, la Cogénor qui extrait de l'Eurite à Moissey a un gros marché avec un aérodrome voisin, de l'Otan, à Broyes-les-Pesmes.

La Cogénor avait dû contracter avec de nombreuses entreprises pour le transport (il y a eu jusqu'à 45 camions), c'est ainsi que l'entreprise Mermillod, (de Maillebois en l'Eure-et-Loir), qui avait 2 chauffeurs, en a envoyé un à Moissey. Il mangeait à l'Hôtel des Voyageurs (AB 70/71), tenu par les époux Ferry et dormait dans une des nombreuses chambres meublées du Château Lasnier (AB 270). Il était né à Moulle, Pas de Calais, le 20 novembre 1931. Il s'appelait Georges Renaux.

Georges Renaux a dû se plaire à Moissey, car au lieu de retourner chez lui fin 1957, comme prévu, il a épousé Colette Jacquinot, devant le maire Maurice Besson et le curé André Paget, le 7 décembre.

 

La carrière Téliet.

Je l'ai toujours connue. A un certain moment, il y avait beaucoup d'ouvriers, ce qui amenait de la vie au village.

Quelques années avant la guerre (1937-38), des ouvriers sont partis travailler ailleurs, à la Poudrerie de Vonges, chez Solvay. Cela a dû faire baisser la population de Moissey. D'autres gens sont venus remplacer ceux qui étaient partis. Il y a toujours eu beaucoup de va et vient parmi les ouvriers de la carrière : travail trop dur ? patron trop exigeant ?

- Monsieur Téliet, Il en imposait par sa carrure, sa façon de s'habiller (pantalons bouffants, bottes de cuir, genre cavalier) son regard d'acier. C'était paraît-il un homme de valeur. Il était connu surtout pour sa rigueur : ses énormes colères, son despotisme; il n'était pas apprécié partout.

Malgré tout, il savait se montrer humain quand il le fallait.

J'ai eu quelquefois à faire avec lui. En effet, après la guerre, il avait installé une cantine pour ses ouvriers, à Offlanges. Nous fournissions le pain. Chaque jour, quelqu'un venait le chercher; il est arrivé qu'il vienne lui-même, il s'est toujours montré très courtois.

Jean Nicolin, né en 1928, époux de Fernande Pellegrini, née en en 1928.

 

Les Porphyres de la Serre.

Le 24 mars 1949, il entre aux Carrières de Moissey dirigées par M. Jean-Marcel Téliet, qui demeure dans l'immeuble "École à la tour"(AB 266), qui appartenait à Paul Besson, fils du notaire, et cousin de Maurice Besson, qui est (ou sera) maire de Moissey. Paul Besson décède en 1953, et c'est vraisemblablement à partir de cette date que la commune décide d'acheter ce bel immeuble pour en faire la charmante école primaire que l'on connaît.

Jean Nicolin fera carrière dans cette entreprise jusqu'au 13 juin 1986, c'est à dire durant 37 années.

Monsieur Téliet est décédé dans la maison "Verdot"(AB 52) de la rue basse en novembre 1954 et ce sont ses enfants (2 filles, Nicole et Nanette, et Jean-Pierre, né en 1925) qui ont repris l'entreprise, jusqu'en septembre 1955.

A cette date, c'est la Cogénor (siège social à Isbergues dans le Pas-de-Calais) qui reprend le flambeau jusqu'en 1959, date à laquelle le Tribunal de Béthune prononce la cessation judiciaire. La Cogénor part alors à Pont Saint-Vincent.

En 1960, c'est Alphonse Pernot qui s'occupe des destinées des carrières de Moissey, relayé plus tard par son fils Camille.

Selon Jean Nicolin,

"Cette carrière a été ouverte "sérieusement" en 1933/34 par Marcel Téliet. Il n'y avait qu'un transfo en bois et un bureau en bois, au bord de la route (CD 37), à droite, c'est à dire sur la rive "Ouest". Les stocks actuels sont sur des terrains ayant appartenu aux frères Thomas, Aymé et Gaston et un morceau qui était aux Cointot.

La limite entre les Bois Besson et les bois communaux était juste derrière le transformateur.

- Le P1, c'est à dire le poste n° 1, celui que tout le monde a vu au bord de la route, était un poste de concassage et de calibrage. On le reconnaît bien grâce à son transporteur vertical à godets.

- Le poste 2, qu'on pourrait appeler P 2 a été construit sur les Bois Besson en 1949/1950. Son installation comprend en particulier le P 110, deuxième poste de concassage construit par Cogénor en 1956. C'est l'entreprise Bourachot qui en a fait toute la maçonnerie.

- Le P 3 a été construit en 1975, car l'extraction a déjà traversé la route depuis plusieurs années, par ABM, Atelier Bregeaud Mâcon. A ce moment, le poste de concassage P 1 est transformé en poste de lavage des granulats".

Je me souviens de l'appellation "Exploitation des Porphyres de la Serre".

On faisait des wagonnets, (de 375 litres) on cassait la pierre à la masse et on la chargeait à bras ou à fourche à pierre. On les roulait sur de la voie de 40 cm à la main, et une grue sortait les bennes du trou et laissait les châssis au sol.

Le gravier prêt à livrer était acheminé par des camions, moins gros qu'aujourd'hui jusqu'à Rochefort.

On faisait des wagons à la Gare de Rochefort, pour étaler le gravier dans le fond du wagon, il fallait des hommes. Ces wagons allaient tous dans le Doubs. J'ai fait aussi des péniches à Auxonne.

Il y avait aussi de la voie Decauville de 50 et de 60 cm.

Rolande Barbier, née en 1931, épouse de René Petiot (1923-1986)

 

Les gens.

Je suis allée quelques fois chez Téliet, dans la maison qui est devenue une école (AB 266). Il y avait un parc magnifique, d'abord une esplanade devant la maison, puis des escaliers et une pelouse qui allait jusqu'en bas. Et des beaux arbres.

Pierre Ortiger, né en 1919

 

L'Eurite de la Serre.

C'est Marcel Téliet qui a ouvert la Carrière d'Eurite, en 1931/1932.

A ce moment, le bois ça marchait moins qu'avant, alors Firmin Béjean a acheté des camions pour faire le transport.

Entre autres, il transportait la pierre et le gravier Téliet. C'est à la suite d'un désaccord entre Téliet et Béjean que les Béjean ont commencé à tirer de la pierre dans les bois Besson, c'est à dire juste à côté, peut-être autour de 1934-1935.

M. Téliet était ingénieur et lieutenant du Génie de réserve. Il avait des projets extravagants. Il voulait creuser un canal de sa carrière jusqu'à la Saône pour faire partir sa pierre dans des péniches. A Rochefort, il avait fait une voie spéciale pour lui pour que ses camions remplissent les wagons.

Il était très autoritaire et il se séparait facilement de ses ouvriers, pour un oui ou pour un non.

Il roulait avec des voitures grosses et anciennes, Hotchkiss, Berliet 944, Ford.

Jean-Paul Campanato, né en 1938, 35 ans de carrière

 

Dans notre entretien à bâtons rompus, nous apprenons que Jean-Marcel Téliet, réputé pour ses idées progressistes et sa rigidité professionnelle, avait inventé, ou mis au point, une forme de charpente en planchettes sur chant, qu'il a avait expérimenté sur le pavillon carré qui a servi de bureau à la Société des Carrières pendant plus de 30 ans. Ce pavillon était un pavillon témoin destiné à être vendu à des ouvriers et leur "petite" famille.

Jean-Marcel Téliet prétendait nourrir tout Moissey et tout Offlanges au moment où il a démarré son industrie. Il employait beaucoup de maçons. Non seulement il a bâti le P1, encore visible près de la route comme poste de lavage, puis le P2 (détruit en 1997), mais aussi la "cantine" d'Offlanges autour de l'année 1937.

Albert Thomas, né en 1933, époux de Josette Simon, née en 1934.

 

La carrière de M. Téliet.

M. Téliet a creusé sur le domaine municipal.

J'ai travaillé à cette dernière, qui était tenue par la Cogénor, de 1956 à 1958, comme chauffeur. J'amenais de la grosse pierre, grosse parfois comme mon frigo, au concasseur P 110. A l'époque, on subvenait au terrassement du Camp de Broyes-les-Pesmes. On faisait deux équipes de 12 heures par jour, six jours par semaine. J'ai conduit une pelleteuse, pour faire la découverte, c'est-à-dire enlever la terre végétale pour mettre à nu la roche.

Un jour, la Cogénor a commandé un film sur ses activités, le jour du tournage, on a utilisé 3 tonnes de poudre pour abattre 20 000 mètres cubes de pierre.

J'ai connu Marcel Téliet. Il avait une voiture coupée, une Reinastella de chez Renault, avec un moteur à 8 cylindres en ligne, ce qui faisait un capot très très long, 7,1 litres de cylindrée.

C'était un utopiste. Il avait créé un immeuble à Offlanges qu'on appelle la Cantine pour y loger ses ouvriers. C'est lui qui a acheté la Gare de Moissey pour la faire raser, car il avait le projet de bâtir pour son personnel.

Il régnait dans son entreprise depuis un bureau surélevé avec des ouvertures panoramiques, pour tout voir.

Il avait des idées industrielles très avancées, comme par exemple le creusement d'un canal qui rejoindrait la Saône ou la construction d'un téléphérique pour transporter la pierre jusqu'à Rochefort.

Pendant la guerre de 1939-1945, comme l'activité générale était réduite, il voulait transformer sa carrière en ferme. Il était venu voir mon père pour qu'il lui donne des conseils. Tout de suite avaient transparu ses idées précises sur le rendement. On voyait bien que c'était un ingénieur, mais un ingénieur pas toujours au fait des contraintes de terrain.

Marcel Daudy, né en 1931, époux de Marcelle Pernin, née en 1936

 

La Gare.

Je n'ai pas connu son activité ni celle du tacot puisque je suis né en 1931. La gare a été démolie par M. Téliet, c'était en 1950 ou 1951. Je le sais bien, j'y étais, j'ai tout vu. Les ouvriers l'ont minée. Ils ont fait des trous régulièrement dans les murs, ils ont garni d'explosifs et elle s'est affaissée d'un coup. Nous on était loin, pour ne pas recevoir de mauvais coups, puis M. Téliet est remonté aussitôt dans sa traction 15 CV-6.

La carrière Béjean.

Je l'ai vu se monter, le poste Béjean, en 1937-1938. Il y est encore, mais bien transformé. J'y suis allé avec mon père. On voyait très bien la limite entre les Bois Besson et les bois communaux, où M. Téliet extrayait déjà bien avant. Le poste Béjean [le P 2] n'a pas tourné longtemps, peut-être jusqu'à la guerre (1939).

Jeanne Zocchetti, née le 11 octobre 1926

 

Quand nous sommes arrivés à Moissey, j'avais 3 ans et demi, c'était en décembre 1929, c'était en même temps que démarrait la carrière de Marcel Téliet.

Firmin Béjean fils

 

En 1931, Firmin Béjean meurt à Gray, et c'est son épouse, Marguerite, une maîtresse femme qui se lance avec ses deux fils, Marcel et Pierre, dans les transports de pierre à Moissey. Il s'agit de la célèbre pierre porphyrique de Moissey qu'on appelle "l'Eurite" dont nous vantons les mérites par ailleurs.

Par la suite, la famille Béjean délaissera le transport de pierre pour généraliser ses activités.

Marcel Pitot-Belin, 1913-1997, époux de...

 

La Carrière Téliet.

Plus tard, je suis allé m'embaucher à la Carrière Téliet.

On mettait des gros blocs sur des wagonnets Decauville, voie de 60 ou à peu près, on les poussait jusqu'au concasseur qui siège tout contre la route, puis on basculait la benne et on recommençait.

Je suis entré chez Téliet en 1932 ou 1933. A mon avis, cette carrière était toute récente, un an ou deux d'âge.

A ce moment-là, les Béjean n'avaient pas encore attaqué dans les bois Besson.

André Bogillot, né en 1921, époux de Laure Marcolin

 

A la sortie de l'école primaire, il est retourné dans la petite exploitation agricole et familiale, jusqu'à son entrée à la Carrière de M. Téliet, le 24 décembre 1936.

Il a fait son armée comme engagé volontaire pendant la guerre, ce qui lui a valu d'être expédié en Allemagne comme travailleur obligé.

En 1950, il suspend son activité à la Carrière de Moissey pour se rendre au Tchad, en Afrique. C'est d'ailleurs à Fort-Lamy (depuis 1973, cette ville s'appelle N'Djamena) qu'il épousera Laure Marcolin, la fille de Ricardo Marcolin, contremaître-maçon chez Téliet.

De son mariage naîtront 3 enfants,

L'expérience africaine dure de 1951 à 1958.

En 1961, il revient à Moissey sous le règne des Pernot, comme contremaître, jusqu'à 1982, ce qui fait 21 ans,.

Avec sa période comme chef mineur chez Téliet, pendant 14 ans, de 1936 à 1950, c'est une carrière de 35 années à celle de Moissey.

Pierre Pénez, né en 1928, époux de Colette Béjean

 

Service Militaire d'avril 1948 à janvier 1949, au 5e Régiment de Tirailleurs Marocains. Il attend alors des propositions de l'Education Nationale, et en attendant,

il travaille deux années à la carrière Téliet de Moissey.

Là, Pierre est dans les bureaux, à côté du P1, fait des écritures (dessin, comptabilité, gestion du personnel) et en particulier, il est chargé du dessin des arches de la Cantine d'Offlanges.

A cette époque, la carrière emploie pas moins d'une centaine de personnes de 17 nationalités différentes, dont même un Mexicain.

Le 2 février 1951, l'Education Nationale ne l'ayant pas appelé, il entre dans la gendarmerie.

Il se marie en 1958 avec Colette Béjean, née le 5 avril 1936. Colette est la petite fille de Firmin Béjean et de Marguerite Lefranc et la fille de Marcel Béjean et Hélène Dalloz. Leur mariage est célébré par Maurice Besson maire et le curé André Paget.


Jean-Marcel Téliet

"C'était un grand bonhomme, il fallait le connaître, il avait le coeur sur la main. Il habitait à cette époque la belle demeure Besson (AB 266).

Je travaillais aux bureaux de 7 à 12 h le matin et de 14 jusqu'à souvent 19 heures l'après-midi. Un jour que j'étais encore sur le terre-plein d'accès à nos bureaux, à 14 h et que la sirène sonnait, il m'a dit "après l'heure, ce n'est plus l'heure". Alors, moi, un jour que la sirène sonnait à 17 h, j'ai brusquement rassemblé tous mes papiers pour me lever et il m'a dit "mais qu'est-ce vous faites ?" J'ai simplement répondu "après l'heure, c'est plus l'heure..." Ça c'était envoyé!

Monsieur Téliet avait écrit des livres, au moins un, que j'ai eu entre les mains, une brochure plus qu'un livre, dans lequel il décrivait tous ses grands projets, il y avait des illustrations, dont les plans de la maison ouvrière qui a finalement été bâtie au bord du CD 37, il qui a longtemps servi de bureau aux co-gérants Pernot et Campanato. Jean-Marcel Téliet était au point de vue social en avance sur tout le monde, d'ailleurs les salaires de son personnel étaient les plus élevés de la région. Il disait volontiers "de ces tas de sable, il va sortir une 4CV pour chacun de vous". Avec ce sable, on faisait des plotets et des bordures. C'est lui l'inventeur du "ourdi" pour couler les dalles, du pont flottant pour pallier l'absence ou la déterioration des ponts.

La Cantine d'Offlanges, projet cher à M. Téliet, avait l'ambition de loger et nourrir une partie du personnel. Cet immeuble a été acheté puis tranformé, c'est Ricardo Marcolin qui en a monté les arcades en 1950/1951. (Ricardo a eu une fille qui a épousé André Bogillot, lui-même employé de M. Téliet).

 

René Chauvin, le père de Bernard, travaillait là, dans un édicule à 10 m de la route, il était chargé de réceptionner les camions de gravillons pour les Ponts et Chaussées.

Pendant la guerre, M. Téliet n'a jamais voulu travailler pour l'occupant, et même il ne portait pas de chapeau afin de pas être obligé de se découvrir pour saluer.

Monsieur Téliet était de la classe 11, ce qui veut dire qu'il aurait pu naître en 1891 si on suppose qu'il a été appelé à l'âge de 20 ans, ce qui n'est pas certain, car comme sursitaire, il a pu être incorporé bien après ses 20 ans. Il avait fait ses études d'ingénieur Arts et Métiers à Cluny; après quoi, il avait fait toute la guerre de 14. De son premier mariage il a eu trois enfants:

- Nicole est née en 1922,

- Nanette (Anne-Marie) en 1923

- Jean-Pierre en 1924,

Madame Téliet, mère de ses enfants, était gravement malade et est décédée en 38/39.

 Jacquotte (Jacqueline Pidancier), la fille de la seconde Mme Téliet est née en 1925, elle a vécu à Moissey de 1939 à 1953. Elle a épousé Hubert Schulz et ils ont eu deux filles, Catherine et Sylvie, établies au Canada.

article de Sébastien Cornéglio, élève du CM1 de Moissey, 1991

 

VIII. Interview de M. Pierre Dubois, ancien cheminot et amoureux des trains.

Cette personne m'a permis grâce à des documents rares, de connaître l'histoire du tacot, mais aussi ce qu'il aurait pu devenir.

 

"Une invention, qui révolutionne actuellement la Belgique, aurait pu changer le mode du transport ferroviaire: Il s'agit d'un brevet d'invention de 1932-1933 de M. Téliet. C'était utopique en 1933 et pourtant ça marche en 1989... en Belgique! Imaginez une plate-forme cimentée de 2 mètres de large, au centre un rail, allant de Pesmes à Dole, cela permettait de faire circuler les wagons marchandises et voitures-voyageurs montés sur pneumatiques en dehors du rail central, derrière un tracteur automobile (ça fonctionne 56 ans après le dépôt du brevet !) Un gros avantage, un agriculteur pouvait envoyer un wagon de graines d'Offlanges, par exemple, directement à Dole sans transbordement.

Nous avons trop vite, en France, contrairement à nos voisins, supprimé ces petites lignes (un autobus sur rail avait roulé à 100 km/h en janvier 1934).

Partout où ces tacots ont été conservés jusqu'en 1939, ils ont amélioré les conditions de vie de nos campagnes, alors que les autobus de remplacement ont servi de transport de troupes... à l'occupant."

entretien [2010] avec Joseph Gaveau, né en 1936

 

le 22 février 2010, Joseph Gaveau a apporté à Moissey le livret qui suit dont Jean-Marcel Téliet est l'auteur:

2. Mémoire sur la création d'un groupe agricole dans le cadre d'une exploitation industrielle par Jean-Marcel Téliet, entrepreneur TPE, maître-carrier à Moissey, ancien des Arts et Métiers de Cluny, 1942

Cet opuscule, qu'on peut lire sur ce site, est né des espérances de Jean-Marcel Téliet et de la conjoncture de la France occupée. Dès l'arrivée de l'occupant en 1940, l'activité d'extraction de l'Eurite de Moissey s'est considérablement ralentie, manque de commandes tout autant qu'indisponibilité d'ouvriers. A ce moment-là, Jean-Marcel Téliet, qui ne voulait pas rester à ne rien faire, avait envisagé de se mettre à l'agriculture raisonnée, disons une agriculture qui serait née des principes de l'industrie. C'est ainsi qu'il avait fait venir Alex Lachat comme maître de culture.

En 1942, Monsieur Téliet pensait et écrivait que le sol, tel qu'il servait jusqu'à présent, ne pouvait pas nourrir son homme. Il avait imaginé que chaque ouvrier pourrait vivre de deux mamelles, l'industrie et l'agriculture. Pour ce qui est de l'industrie, il faisait allusion à la carrière, pour ce qui de l'agriculture, il avait réfléchi pour que chaque famille fasse de la terre une activité vivrière, certes, mais vivrière-rationnelle.

Il est édifiant de voir comment un ingénieur des Arts et Métiers avait pu concevoir un tel projet. Il faut dire que M. Téliet avait une imagination qui tranchait d'avec la pensée de l'époque et de l'endroit. Un demi-siècle plus tard, on continue à entendre dire de lui qu'il était génial ou qu'il était fou. Génial, certes, il semblait l'être. Fou, sûrement guère, mais excessif, vraisemblablement. Mais cet aspect fantasque n'est-il pas la marque du génie ?

Naturellement, ceux qui travaillaient sous sa férule le trouvaient bien assez autoritaire, mais ses collègues ingénieurs, comme M. Emile Gaveau, pensaient plutôt que c'était un grand bonhomme.

Emile Gaveau, le père de Joseph, qui dirigeait Moulin Rouge, et Jean-Marcel Téliet se rencontraient régulièrement, ingénieurs tous les deux, pour confronter leurs visions et enrichir leurs méthodes. Le petit Joseph accompagnait souvent son père et il a retenu de ces rencontres que le maître-carrier avaient des idées bien avancées pour son époque.

Parmi elles,

- le projet d'une autoroute qui relierait Besançon et Dijon mais qui passerait par Moissey...

- livraison du gravier jusqu'à Rochefort pour être acheminé par le train, des trémies sont encore visibles à la gare de Rochefort...

- projet de télébennes pour le transport sur Rochefort...

- canal allant de Moissey jusqu'à la Saône à Auxonne...

- constructions de maisons individuelles pour le personnel avec les matériaux inutilisés dans l'exploitation de la carrière.

Mais le projet qu'il décrit dans son opuscule, qui le rapproche de la pensée des Utopistes francomtois du siècle précédent, et que nous vous offrons à lire, reste un morceau d'anthologie et nous donne à penser qu'il est décédé bien trop tôt, bien avant d'avoir pu exprimer et réalisé la vision qu'il avait de l'avenir. Il n'est pas sans rappeler, d'une certaine façon, la vision de Claude-Nicolas Ledoux avec sa Cité Idéale (Arcs-et-Senans).

moissey.com

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textes de:

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1. La carrière ballastière des Gorges de 1920 (recherche de 1971)

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Christel Poirrier

3. L'entreprise Jean-Marcel Téliet, (en 1931)

4. Images de la "Cantine d'Offlanges" des années 30, avant la réhabilitation (2003)

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5. La carrière porphyrique, la reprise par la famille Pernot, en 1960

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7. Le poste d'enrobé de la SCREG sur place (1971)

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8. L'un des meilleurs porphyres de France est extrait à Moissey, le Progrès (1971)

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9. L'Eurite de Moissey, par Jérôme Cornéglio (1991)

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10. Avec Jean Nicolin, carrier au long cours (1996)

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12. Le Poste UN, par le peintre Elisabeth Le Gros (2001) et son papa (1968)
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Christel Poirrier

13. les témoins de la carrière porphyrique (1996 et plus tard)

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15. Vues aériennes des Carrières de Moissey en 1999

les Moisseyais

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22. Expo sur la pierre à Moissey, inauguration au Foyer-logement, le 15 juin 2004

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24. Mémoire sur la création d'un groupe agricole dans le cadre d'une exploitation industrielle par Jean-Marcel Téliet, entrepreneur TPE, maître-carrier à Moissey, ancien des Arts et Métiers de Cluny, 1942

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