Le 27 avril 2004,
nous avons rencontré Camille Pernot, qui
coule une retraite paisible, avec son
épouse, dans leur maison de Champagnole.
L'entretien nous a montré que quelques
erreurs, sur les faits ou sur les dates,
émaillaient d'autres propos recueillis
ailleurs, en particulier sur la relation de
l'histoire de la Carrière faite par des
journalistes en 1961 ou par l'Inventaire du
Patrimoine Industriel avant 1950 (par exemple,
on entend dire couramment que l'extraction du
porphyre trouve son origine, sur le même
banc, à 200 m, dans les Gorges, alors que
la vraisemblance voudrait que ce soit le
percement du Chemin Département 37
(Auxonne-Orchamps) qui ait
révélé ce filon. De plus,
nous n'avons pas questionné M. Pernot sur
le cheminement du minéral, qui est
très bien expliqué dans les
articles de presse publiés en 1961 et
1971.
d'abord,
Alphonse Pernot, en 1945
La dynastie Pernot a
comme père fondateur Alphonse Pernot,
né en 1901, qui s'est consacré
à différentes activités
avant de percer, d'abord, dans le gravier de
rivière. Au lendemain de la guerre, en
1945, Alphonse Pernot, qui avait
été aussi fromager, se lance dans
la fabrication d'agglomérés avec
une matière première qui provient
de champs lui appartenant. Il a 44
ans.
Dans les années
1946, 7 et 8, il extrait à Champagnole
des sables et des graviers qu'il vend à
une clientèle non
spécifique.
En 1952, il installe
un chantier d'extraction, sur des moraines
glaciaires, à Crotenay car les besoins
routiers sont importants, pour des tapis
d'enrobé, en particulier pour
l'aérodrome de Dole-Tavaux. Alphonse
Pernot travaille en famille, toujours
assisté de ses deux fils, Michel Pernot,
né en 1931 et Camille Pernot, né
en 1937.
Il est donc
déjà bien engagé sur cette
voie et ne travaillera bientôt plus que
pour les Ponts et Chaussées, lorsque
l'opportunité de l'achat de la
Carrière de Moissey se présente.
Le chantier de Moissey représente un
achat très important, vu les
investissements considérables de ses
prédécesseurs. Alphonse Pernot
achète donc à parts égales
avec la SCREG, les installations de Moissey en
1959.
puis Camille
Pernot de 1960 à
1997
Le chantier
redémarre fort en 1960, avec à sa
tête Camille Pernot comme
co-gérant, qui a, cette
année-là, 23 ans (l'autre
co-gérant est la Screg). Alphonse Pernot
est naturellement présent aux
côtés de son fils Camille pendant 4
ou 5 années. Il y a beaucoup de chantiers
routiers sur la Côte d'Or, le Jura, le
Doubs et la Haute-Saône et l'extraction du
porphyre de Moissey est de plus en plus
encouragée.
En 1962, c'est la mise
en route des gravières de Champdivers
dont Alphonse Pernot s'occupe
particulièrement.
A partir de 1969, il
n'y a pas de poste fixe pour la fabrication des
enrobés denses et pendant de nombreuses
années, on verra sur le site de Moissey,
stationner des postes itinérants (SCREG,
COLAS, etc). Avant la fin du mandat de Camille
Pernot, les postes fixes seront
créés, ce qui évitera le
surcoût dû au transport du produit
fini.
En 1975, le chantier
d'Autoroute Dole-Belfort promet encore de gros
besoins et c'est à ce moment que Camille
Pernot rénove ses installations par la
construction du P3 et d'un nouveau poste de
pesage. Il garde le P1, tout le symbole de cette
grande saga, celui qui est au bord du CD 37 et
que tout le monde connaît, pour en faire
un poste de lavage, tout simplement parce
qu'à son pied, l'eau est là, il
n'y a qu'à la prendre, la rejeter, la
décanter, puis la reprendre.
La tradition familiale
fait en sorte que l'un des frères Pernot
s'occupe du Bas (du Bas Jura, Moissey et
Champdivers) et l'autre des chantiers du
Haut.
Depuis environ une
dizaine d'années, c'est Marc Pernot
(né en 1970), fils de Camille qui
gère le Haut (carrières de Besain,
Plasne et Crotenay) et depuis 1997, c'est Yves
(né en 1957), fils de Michel, qui
règne sur Moissey et
Champdivers.
Le 1er mars
1997, Camille Pernot rejoint le clan des
retraités...
Ses souvenirs sont
nombreux et au cours de la conversation,
d'autres plus difficiles émergent. Etre
carrier est un métier d'homme nous
dit-il, le travail avec une matière
première sur-dimensionnée, le
gabarit des camions, la taille des concasseurs,
le gigantisme des engins de chargement, la force
des broyeurs, le recours aux explosifs, la
pluie, la poussière, la boue, la nuit
quand il le faut, font que ce métier
n'est pas à la portée du premier
venu. Camille passe en revue tous ses ouvriers,
installés pour la plupart à
Moissey et à Offlanges, et en
égrenant, dit, celui-là,
c'était un bon gars. D'ailleurs tous ou
presque étaient des bons gars et il ne
tarit pas d'éloges à leur endroit.
Pendant 37 ans, Camille Pernot fera la route,
Champagnole-Moissey et l'inverse pour rentrer,
quelque soit le temps. Un métier d'homme,
répète-t-il, avec une pudeur qui
en cache long mais qui est éloquente:
diagnotiquer rapidement, garder à
l'esprit les objectifs, ne pas tergiverser,
décider, agir, en somme un travail de
défricheur, de pionnier,
d'explorateur...
Lorsqu'on interroge
Camille Pernot sur sa formation, il sourit.
Très tôt il a travaillé aux
côtés de son père et de son
frère, et là, il a tout appris. Le
courage et la ténacité plus que
l'imagination, c'est autre chose que des
diplômes. D'ailleurs, le travail de
carrier est tout tracé, on commence au
front de taille et on va jusqu'au stock. Il faut
que toutes ces machines, ces mâchoires,
ces tapis transporteurs, soient capables de
tourner jour et nuit. On n'arrête pas de
casser et de réparer, de changer des
pièces, celles-là que parfois on
réalisait soi-même quand on ne
pouvait pas faire autrement, jadis. En un mot,
il faut faire face à toutes les
situations, à tous les problèmes.
Et ce, tous les jours.
«La seule chose
dont on peut parler pour la pierre de Moissey,
c'est sa qualité, c'est-à-dire sa
dureté. Si le banc de porphyre avait
passé sous la route, nous serions
allés chercher la pierre là
où elle était, nous aurions
déplacé le CD 37 s'il avait fallu.
Tout est possible, il faut seulement savoir lire
les coûts».
«Aujourd'hui, nos
tirs de mines sont assurés par une
entreprise spécialisée. On les
appelle, ils viennent juste au moment où
il faut, avec le matériel et les
explosifs, ils tirent, ils rangent et ils s'en
vont. Le principal avantage pour nous, oui bien
sûr c'est aussi un souci de moins, mais
surtout, nous n'avons plus à stocker
l'explosif, dans des conditions de
légalité qui sont devenues de plus
en plus contraignantes».
Au chapitre des
douleurs, et il y en a quelques-unes sur
lesquelles nous ne nous sommes pas
étendus, Camille Pernot évoque les
épisodes difficiles de la vie d'un
carrier, qu'il soit maître-carrier ou
ouvrier-carrier, il s'agit de la question de la
sécurité: malgré les
injonctions du patron, les précautions
prises par l'encadrement, la vigilance de
chacun, quelques ouvriers ont eu des accidents
au cours de leur travail. Le pire, dit-il, c'est
qu'on n'y peut rien. Et ça ne va pas en
s'arrangeant, aujourd'hui, il suffit que dans
l'enceinte de la carrière, quelqu'un ne
regarde pas où il pose son pied pour
qu'aussitôt on se retourne contre la
direction. Aujourd'hui les successeurs ont
dû clore le chantier, poser des pancartes
partout, de façon à éviter
aux plus inconscients qu'ils se mettent en
danger. «Les accidents du travail dans
lesquels on tente immanquablement de vous
impliquer, ça vous déglingue un
bonhomme». Aussi, rien que pour enfin
échapper à cet aspect des choses,
cette responsabilité lourde qu'on a des
hommes et des biens, mais essentiellement des
hommes, Camille Pernot est content d'avoir
atteint le terme de sa carrière, et le
repos qu'il en retire aujourd'hui, est plus
celui de l'esprit que celui du
corps.
enfin,
Yves Pernot, en 1997
Au bout du compte, M.
Pernot nous dit sa légitime
fierté, d'avoir rempli son contrat du
mieux qu'il a pu. Une autre satisfaction qu'il
nous confie est d'avoir travaillé en
famille: la relève assurée
aujourd'hui par fils et neveu est vraiement
très confortante et il ne cache pas son
plaisir que cette réussite ait
été familiale et que le flambeau
ait été repris par la
génération suivante.
|
|