la maison Miroudot
            [AB 202]
            
            La maison Miroudot est
            certainement la plus étonnante et la plus belle
            maison du village, toute de bois et de pierre, de facture
            à peine spartiate... Retirée de la route de
            quelques mètres, ses deux façades sont un
            peu en retrait l'une de l'autre, la tour hexagonale
            dissimule cette disparité, qui semble-t-il,
            n'aurait qu'une fonction, c'est de desservir les deux
            bâtiments en même temps. Ce petit angle droit
            permet d'aménager les entrées,
            elles-mêmes perpendiculaires entre
            elles.
            
            Après qu'on ait eu le
            coup de foudre pour cette maison, il faut ensuite
            intégrer, et cela aussi est bien insolite, qu'elle
            a été habitée par une personne tout
            ce qu'il y a de plus simple, allumant son feu tous les
            matins et se servant de son réchaud à
            alcool en cas de besoin, vivant d'une vache et de sa
            vigne, se réfugiant à la cave pendant
            l'orage. Un robinet [arrivé en 1963] sur
            la pierre de l'évier, et voilà tout le
            confort qu'a offert ce lieu jusqu'en 1988, date du
            changement de propriétaire.
            
            Après le
            décès de la Marcelle, la demeure a
            été acquise par un jeune couple, M. et Mme
            Barlet, qui ont dépensé beaucoup
            d'énergie à raviver toutes ces belles
            choses: toitures, sablage des pierres de la grande salle
            d'accueil, eau, électricité, chauffage,
            double-vitrage, aménagement de l'étage,
            salles de bains, c'est-à-dire le confort
            d'aujourd'hui sans nuire au cachet d'antan.
            
            En 1992, ce couple est reparti
            sous d'autres cieux et la maison a été
            reprise par la famille Perrin, qui heureusement
            partageait les mêmes valeurs et même plus
            puisqu'elle compte dans ses rangs des
            médiévistes convaincus et
            pratiquants.
            
            C'est dire que pour l'heure les
            destinées de ce couvent Saint-Antoine sont en de
            bonnes mains, et c'est peut-être sa
            rusticité qui l'a mis à l'abri des
            bourgeois qui gravitaient pas mal entre Dole, Auxonne et
            Pesmes, qui trouvaient l'endroit à leur
            goût, mais trop petit, même pas la place pour
            creuser une piscine... Grand bien lui en a pris à
            cette maison, inextensible sur ses quatre points
            cardinaux, courette devant, jardinet
            derrière...
            
              
            
            La
            construction.
            
            Elle commence par la cave,
            accessible de la tour et de l'extérieur,
            construite à partir de deux mâts de section
            carrée (environ 12 cm), érigés
            presqu'aux extrémités d'un futur
            demi-cylindre -en berceau- et qui serviront de
            repères précis pendant qu'on montera et
            couvrira le coffrage (une voûte en planches) de
            pierres sur chant selon l'explication d'Ivan
            Perrin.
            
            Le rez-de-chaussée est
            une unique grande pièce, composée de deux
            croisées d'ogives, séparées par un
            arc en plein cintre. Les culots sont massifs et bien
            finis, les nervures irréprochables. Une belle
            cheminée d'angle, marquée de deux fleurs et
            d'un rameau de 6 feuilles de chêne, accueille la
            bouche d'un four piriforme (de plan en forme de poire)
            qui est, lui, construit à l'extérieur, sous
            un toitelet qui lui est propre.
            
            Au-dessus, plafonds à la
            française avec des poutres de section
            carrée et des chevrons de chênes,
            très serrés, presque un sur deux. Les
            extrémités des poutres reçoivent les
            fermes de la charpente, elles-mêmes
            constituées par des bois de carène, tordus
            dans un angle de 135 degrés, ou cintrés par
            le marchand, ou élevés en forêt des
            décennies à l'avance en privilégiant
            (ou en contraignant) des fourches de gros arbres, on ne
            sait pas.
            
            L'ensemble a été
            contruit strate par strate, ce qui imposait à
            l'architecte de ne pas avoir les deux pieds dans le
            même sabot, c'est-à-dire, ne pas oublier les
            niches, les culots, les tablettes, les marches, les
            linteaux, les ouvertures, enfin tout ce qui
            apparaît comme parfaitement intégré
            à la construction et qui est parfaitement visible
            aujourd'hui.
            
            Arrivés dans les
            étages, les maçons n'évacuaient pas
            les déblais de construction qui jonchaient
            ça et là, et qui sont restés pour
            servir d'assise aux futurs carrelages.
            
            Le cas de la charpente est
            très intéressant. Les bois de carène
            étant cintrés pour faire un angle de 135
            degrés, la pente de la toiture était donc
            prédéfinie, c'est-à-dire 45
            degrés avec la verticale, c'est-à-dire, une
            pente absolue de 45 degrés. Quelle que fût
            la distance entre les murs, la pente serait immuablement
            de 45 degrés.
            
            Dans les siècles
            passés, on ne changeait pas sa toiture
            périodiquement, et même on n'en changeait
            jamais: elle était régulièrement
            entretenue, on changeait les tuiles qu'il fallait, et
            parfois les bois. Les chevrons, souvent en coeur de
            chêne, ou en demi-coeur (de petit chêne),
            pouvaient durer des décennies. Quant aux gros
            bois, ils ont trois siècles d'âge et s'en
            portent fort bien. Le tout est de faire la chasse
            à l'eau.
            
            L'ensemble de la charpente, qui
            nous semble surdimensionnée aujourd'hui, avait
            cette force qui permettait de soutenir une couverture en
            petites tuiles, bien plus lourdes au
            mètre-carré que les grandes tuiles
            mécaniques utilisées au XXe siècle.
            On peut imaginer qu'au moment de la construction, la
            couverture était en pierre(s). Laves ou
            loses.
            
            Il faut souligner enfin la
            présence d'une porte d'entrée imposante,
            genre petite porte charretière, qui,
            charretière, ne l'est pas. Cette porte
            était donc destinée à recevoir du
            monde. On doit pouvoir dire qu'elle est l'entrée
            principale.
            
            Ces voûtes en bas, ces
            plafonds en haut, sa haute tour qui va de la cave aux
            combles font de cette construction un modèle de
            l'architecture [rurale ou non] du XVIIe
            siècle.
            
              
            
            les hypothèses
            de construction
            
            A l'évidence, la haute
            tour dessert un module d'habitation, à gauche en
            regardant, et à droite, un module de service
            (remise à charrettes en bas, grange à foin
            au dessus), incluant un porche au rez-de-chaussée
            qui lui même ouvre sur une autre construction tout
            aussi remarquable, à 5 croisées d'ogives (3
            dans une pièce, 2 dans l'autre) et
            vraisemblablement pas d'étage. Ce module de droite
            [aujourd'hui AB 203], qui a appartenu au
            père des soeurs Durot, riche de
            présomptions, fait l'objet d'un
            autre article. Ce module
            contient les sceaux christique et marial, la croix du
            Temple et les dates, 1615 pour la pièce à 3
            croisées d'ogives, 1617 pour celle qui en a deux.
            Tout cela nous en dit assez long pour que nous pensions
            que la demeure dont nous parlons a pu être mise en
            chantier autour de 1612.
            
            Pour ce qui est du reste de
            l'immeuble, l'étage manquant de AB 203 et la
            maison AB 204, ces deux éléments sans
            croisées d'ogives, sans plafond à la
            française, sans charpente "marine", Ivan Perrin
            (voir les
            premiers dessins de son
            hypothèse) propose que
            ces ajouts sont postérieurs et commandés
            par un certain
            Claude
            Sireguy,
            qui signe sa construction sur un linteau de
            l'entrée Est [+ 16
            C
            T
            S
            92 +] d'une part et sur une belle plaque de
            cheminée
            [Claude
            Siregui
            1688] d'autre part.
            
            Sur le plan cadastral ancien
            [1824], les parcelles AB 203 et AB 204 sont les
            deux sous le même numéro (299).
            
              
            
            les hypothèses
            de destination
            
            Ces hypothèses ne sont
            pas nombreuses. Tous les éléments
            constitutifs de la bâtisse rappellent
            immanquablement le mode de construction des
            églises. On pense d'emblée à
            l'installation d'une congrégation. La croix
            templière de la clef de voûte nous indique,
            ou bien qu'elle a été mise ici pour faire
            joli, ou bien qu'on héritait de la tradition de
            l'Ordre Hospitalier des Chevaliers de Malte. Cette croix
            templière pourrait aussi expliquer à elle
            seule la structure de toutes les croix pattées du
            secteur.
            
            Edmond Guinchard, le monographe
            de Moissey [1913], et Marcelle Châtelain,
            évoquent la présence, en façade,
            d'une niche qui aurait abrité un Saint-Antoine et
            son cochon. On serait dans ce cas chez l'Ordre de
            Saint-Antoine, congrégation masculine servant au
            cours des âges de Secours Catholique Local, mais
            ayant en tout cas servi -à une période-
            à soigner le
            mal des ardents, (ou Feu de
            Saint Antoine par similitude avec les tentatives du
            démon pour entraîner le saint en enfer) la
            grande pièce du rez-de-chaussée servant de
            pièce commune et l'étage servant de
            dortoir, non pas aux malades, mais au personnel
            hospitalier.
            
            Ajoutons à cela que le
            linteau Est de AB 204, au chiffre de Claude Sireguy,
            contient un
            Tau
            de toute beauté, qui est la marque de l'Ordre
            Hospitalier de Saint-Antoine...
            
            
            
            "Pour
               guérir de cette maladie
               
               [
                     l'ergotisme, qui a fait des centaines de
                     milliers de morts à partir du
                     Moyen-âge et jusqu'au début du
                     XXème siècle; on l'appelait alors
                     "Mal des Ardents" ou "Feu de Saint Antoine",
                     à cause de brûlures ressenties dans
                     les membres des malades, et en
                     référence aux tentatives du
                     démon d'entraîner le Saint en
                     enfer.],
                     
  
               
               on invoque Saint Antoine
               car un gentilhomme dauphinois aurait obtenu la
               guérison de son fils lors d'un
               pélerinage auprès de ses reliques;
               celui-ci crée une communauté à la
               fin du XIème siècle, qui évolue
               vers un ordre religieux: les Antonins (à
               Saint-Antoine-en-Viennois); au XVème
               siècle, ils sont près de 10 000 moines
               et ont fondé plus de 300 abbayes ou
               commanderies.
               
               On pense qu'à
               Moissey, rue du Dieu de Pitié, se trouvait un
               Couvent des Antonins; une statue de Saint Antoine
               (avec son cochon) se serait trouvée dans la
               niche de sa façade, selon les
               témoignages des anciens.
               
               On sait peu de choses sur
               les soins prodigués aux malades (les
               démembrés) qu'ils soignaient de
               façon empirique: ils leur concoctaient un
               médicament à base de vin mis en contact
               avec les reliques de Saint Antoine et priaient pour
               eux .
               
                
               
               Les Antonins demandaient
               l'aumône et avaient le droit de faire divaguer
               leurs cochons dans les rues, ce qui soulevait beaucoup
               de protestations.
               
               Sur leur manteau à
               capuchon était cousu le "Tau", (le signe de
               l'ordre en forme de T, désignant une
               béquille?), en tissu bleu, sur
               l'épaule.
               
               Cet ordre est
               méconnu car ses archives furent
               détruites en 1422 par un incendie, puis en 1567
               par les Huguenots."
               
                
               
               L'ordre décline
               à partir du XVIIIe siècle car les
               épidémies du mal des ardents
               régressent. Il est alors réuni à
               l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem (plus connu
               sous le nom d' Ordre de Malte) le 25 juillet
               1777.
               
                  
            
            La question qui demeure est la
            suivante: dans notre affaire, la Croix des Templiers
            apparaît en 1612 et le Tau des Antonins
            apparaît en 1692. Donc les Antonins deviennent
            membres de l'Ordre de Malte alors que ces dates nous font
            penser à une chronologie inverse. Depuis les 1777,
            l'Ordre de Saint-Antoine a rejoint celui de Malte, qui
            existe toujours, et auquel chacun pouvez adhérer
            si le coeur lui en dit.
            
            L'explication qui subsiste
            serait que la réunion des deux Ordres aurait pu
            avoir lieu, localement, bien avant 1777,
            c'est-à-dire entre 1612 et 1692...
            
             
         
         
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