En suivant le Chemin
de la Poste, après avoir traversé la route
d'Amange à Moissey, on trouve à environ 1
200 mètres de cette dernière un petit
sentier sur la gauche, qui conduit le voyageur au pied
d'une roche escarpée connue sous le nom
d'Ermitage.
Cette retraite a environ 15 mètres de longueur, 8
mètres de largeur et 7 mètres de hauteur.
Elle comprend un rez-de-chaussée et un
étage superposé.
Le
rez-de-chaussée est composé de trois
pièces voûtées : une grande au milieu
de 2,50 m de large sur 2 de hauteur moyenne; deux plus
petites, de chaque côté, larges de 1,50 et
1m, hautes de 1,50 environ.
L'étage a
quatre pièces également
voûtées : deux grandes, au milieu, dont les
largeurs moyennes sont de 2,20 et 3 m, avec une hauteur
uniforme de 2 m; puis deux plus petites, de chaque
côté, d'une largeur moyenne de 1 m, sur 1,40
de hauteur.
Le
rez-de-chaussée et l'étage avaient
certainement pour fond, à l'origine, le massif
même de la roche. Les eaux ont commencé le
travail de destruction; une fente s'est produite d'abord
et peu à peu, le monument s'est
détaché de la roche mère.
L'ouverture qui se voit aujourd'hui et qui va de la base
au sommet de la grotte, a la forme d'un
parallélogramme très allongé de 12
mètres de longueur sur une largeur variable qui
atteint 2,50 m en un certain point.
Tandis que le monument
se désagrège par le fond, tourné
à l'est, il se détruit en même temps
par la façade. Depuis une quarantaine
d'années déjà, des piles ont
cédé au premier étage et ont
été remplacées en deux endroits par
des étais en maçonnerie. Il y avait en
effet à l'étage, des baies servant à
l'éclairage et à la communication des
pièces entre elles; ces ouvertures se sont
élargies sous l'action des eaux, de la
gelée -sans parler des dégradations dues
à certains visiteurs- et la solidité des
parois latérales a été de ce fait
considérablement compromise. On peut
prévoir que d'ici peu d'années le plafond
du monument -banc de roche d'un poids
considérable- s'écroulera, n'étant
plus soutenu que par des soubassements de plus en plus
faibles. Le rez-de-chaussée seul, avec ses trois
travées voûtées, est donc
appelé à durer.
Ce
rez-de-chaussée a une grande entrée
cintrée de 2,60 m de hauteur à la clef de
la voûte, sur 3,80 m de largeur. On peut supposer
que la cavité était et qu'elle a
été simplement agrandie et
aménagée par la main de l'homme. Des traces
de pic, verticales et obliques, espacées de cinq
centimètres en moyenne, sont visibles d' ailleurs
dans les trois pièces du bas; au premier
étage, on relève peu de ces traces; il n'y
en a pas aux voûtes. Cette grotte est donc en
partie artificielle.
La roche constitutive
est, dans son ensemble, formée de strates
parallèles, à feuillures
superposées; c'est un grès
quartzifère, le grès vosgien de
l'étage inférieur du trias. Ce grès,
friable, trop facile à désagréger,
est composé de petits cristaux de quartz et de
feldspath agglutinés par un ciment siliceux; il
constitue la roche nommée arkose. On y voit des
colorations rouges dues à des infiltrations
ferrugineuses et, de loin en loin, quelques gros cristaux
de quartz et des traces de mica.
La roche d'arkose
s'étend d'ailleurs sur la plus grande partie de la
Forêt de la Serre : l'Ermitage est situé
presque à la pointe extrême d'un massif qui
se poursuit fort loin au sud dans les bois de
Châtenois et d'Archelange, au vallon des Vaux, puis
au sud-ouest et à l'ouest dans une partie des bois
de Gredisans, Menotey et Frasne. Le même massif
reparaît dans une partie des bois d'Offlanges, de
Montmirey-le-Château, Brans, Thervay, au nord de la
Serre.
Devant le monument
règne une plate-forme, aménagée
certainement par la main de l'homme, car elle
détruit la pente générale du
versant. Elle a une vingtaine de mètres de
développement sur une douzaine de mètres de
largeur. A une distance de 30 mètres de la grotte,
sort une source d'eau limpide ne tarissant
jamais.
Cette source forme de
suite un joli ruisseau d'eau courante qui traverse la
forêt en se dirigeant du côté du
Pré des Vaux. Le paysage a beaucoup de grandeur,
grâce à l'ombrage des hêtres
séculaires que la commune de Moissey se garde de
faire couper.
L'origine de la grotte de l'Ermitage est jusqu'ici bien
discutée. Les uns, comme Monnier, veulent la
considérer comme un monument druidique, à
cause de l'existence d'un oeil-de-boeuf pratiqué
au rez-de-chaussée et destiné à
jeter un rayon de jour dans la pièce de gauche;
cette fenêtre est, disent-ils, absolument conforme
à celle des dolmens observé aux environs de
Vesoul, ainsi qu'à Courgenay, près de
Porrentruy, et dans d'autres lieux encore. D'autres
s'accordent à dire que sa construction date
seulement du XVIe ou du XVIIe siècle : c'est
peut-être un jugement bien téméraire.
Nous ne pouvons rien affirmer; mais il est certain que
l'Ermitage est très ancien.
MM. Feuvrier et
Fèvret ont fouillé cette grotte et
l'opération ne leur a rien donné qu'une
série de foyers superposés, à
l'étage inférieur, sans aucun objet. Une
étude minutieuse des traces laissées par
des outils pourrait peut-être servir à la
dater : c'est l'opinion de M. Feuvrier.
Comme cette grotte est
connue sous le nom d'Ermitage, on peut de prime abord y
voir la solitude d'un anachorète chrétien.
Rousset dit : « Si l'on compare la forme de
l'Ermitage de Moissey aux grottes qui servirent de
retraite aux premiers solitaires de l'Occident, on leur
trouve tant de points de ressemblance qu'on en conclurait
facilement que ce réduit fut occupé
dès le Ve ou VIe siècle par des ermites. Il
fallait un zèle bien fervent pour venir planter la
croix dans une contrée où les superstitions
druidiques se maintenaient dans toute leur vigueur,
favorisées qu'elles étaient par les sombres
ombrages de la forêt de la Serre ». Une
particularité est frappante dans tous les cas;
c'est que l'ouvrage avec ses nefs voûtées,
aussi bien au rez-de-chaussée qu'au premier
étage, semble affecter la forme et la disposition
d'un édifice religieux. « L'étage
supérieur servait, dit Rousset,
d'église». Le rez-de-chaussée aurait
donc servi de logement aux ermites ?
On remarque en
plusieurs endroits des traces de chaux et de
plâtre, preuve indéniable que la retraite de
l'Ermitage a été habitée. On
découvre aussi de petites niches, cavités
de forme ronde ou allongée, creusées dans
la roche et paraissant destinées à servir
de resserres à provisions?
Mais sur les
prétendus ermites, on ne sait rien ou peu de
choses. Le dernier soi-disant ermite s'appelait Guilley.
Il aurait, fort âgé, quitté
l'Ermitage en 1694, après la mort de son
compagnon, pour venir habiter une maison de Moissey, sise
ruelle du Croutot, dans une petite cour, à gauche
en montant, où il mourut à son tour vers
1697. Jusqu' à cette époque, l'Ermitage
aurait était habité par deux ermites qui,
tous les dimanches et fêtes, venaient entendre la
messe à Moissey et faisaient la quête dans
l'église? C'est du moins ce que rapporte une note
datée du 1er janvier 1850 et écrite de la
main même du docteur Claude-François
Guillaume, médecin à Moissey, lequel avait
vu, à la fin du XVIIIe siècle, disait-il,
des châssis de fenêtres et de portes aux
diverses ouvertures, ainsi que des enduits de
plâtre sur les parois intérieures des
différentes pièces. (La note est
écrite au dos d'un portrait qu'on croit (?)
être celui de l' ermite Guilley).
Mais quel était
au juste le caractère de ces ermites ? Etaient-ils
des moines réguliers ? Rien ne l' indique; on
incline plutôt à croire que c'étaient
des reclus volontaires, mendiants et errants, qui avaient
choisi cette retraite pour vivre à leur guise,
à l'écart de la société. Ils
venaient peut-être tout simplement demander
l'aumône à la porte de
l'église.
On a dit aussi que la
grotte de l'Ermitage avait été
dédiée à Saint Hubert. Cependant
aucun chroniqueur ne peut assigner à ce fait une
époque déterminée. La tradition
n'aurait-elle pas simplement voulu dire que ce site a
toujours été fréquenté par
les disciples de l'évêque de Liège,
c'est-à-dire les chasseurs ?
Les Bons Cousins Charbonniers.
On est mieux
documenté sur le point suivant : l'Ermitage a
servi, entre les années 1840 et 1850
principalement, de lieu de réunion aux membres de
la "Vente des Bons Cousins Charbonniers de la Serre".
C'est là qu'étaient reçus les
adeptes et qu'étaient
célébrées les
cérémonie aussi innocentes que
mystérieuses prescrites par les statuts de
l'association.
« Cette
association était née, dit Marquiset, dans
des temps assez reculés, du besoin qu'avaient
éprouvé les hommes, contraints par position
de vivre dans les bois, de se rapprocher et de se
secourir mutuellement; ils avaient emprunté
à l'art de la carbonisation du bois, leurs
emblèmes, leurs cérémonie, leur
vocabulaire symbolique ». Les assemblées,
qui, en dehors de la vente des bois proprement dite,
avaient souvent pour but quelque oeuvre de bienfaisance,
étaient surtout des rendez-vous de bons vivants
réunis pour consommer gaiement en commun des
victuailles et des boissons, comme le font aujourd'hui,
en renouant une joyeuse tradition, les groupes et
sociétés qui viennent visiter
l'Ermitage.
Rappelons pour
mémoire que les Bons Cousins Charbonniers, dont
les associations à formes secrètes se
rencontraient alors dans les grandes masses de
forêts de la France entière, n'avaient rien
de commun, quoi qu'on en ait dit, avec la puissante
société politique des Carbonari. Leurs
rassemblements n'en ont pas moins été
interdits au commencement du second Empire. Nous trouvons
même dans l'annuaire Monnier (année 1850,
page 297) la note suivante :
« le 1er novembre
1792.
On trouve
consigné dans les délibérations du
Comité de surveillance de Lons-le-Saunier que les
divisions haineuses qui affligent cette commune sont
attribués aux Bons Cousins Charbonniers. Selon
leur institution, dit la délibération, les
Bons Cousins ne devraient se rassembler que dans les bois
et nous voyons pourtant qu'ils se réunissent dans
la ville pour jouer, et qu'ils tiennent registre de leurs
délibérations. Chez un peuple libre, toute
corporation qui n'a pas pour objet le soutien de la
république ne saurait être soufferte.»
Dans le même volume, page 365, nous lisons ensuite
:
« 15 mai
1793.
Suppression de la
société des Bons Cousins Charbonniers de
Lons-le-Saunier, dont l'existence tolérée
par l'administration, échauffait la bile des
patriotes ».
Mais en
général, les Sociétés de Bons
Cousins ont duré jusqu'en 1850. Celle de la Serre
aurait même, nous a-t-on dit, tenu des
réunions clandestines jusque vers 1865.
Aujourd'hui, beaucoup
de promeneurs se donnent rendez-vous à l'Ermitage.
Chaque année, pendant la belle saison, de nombreux
dolois viennent le visiter, y font des repas
champêtres, et se reposent ensuite sous les
hêtres ombreux. C'est la promenade favorite des
habitants de Moissey et des environs, qui y conduisent
leurs invités. Il serait à souhaiter que le
site fût mieux aménagé et qu'on
pût trouver là des rafraîchissements
et quelques provisions de bouche dans une petite buvette
bien installée.
Il serait
désirable surtout que la "Société
pour la Protection des Sites et Paysages de France", ou
le Touring-Club, ou toute autre association analogue,
s'intéressât à cet édifice de
l'Ermitage, unique en son genre dans le Jura, sinon en
France. La commune de Moissey seule, avec ses modestes
ressources, ne peut pas assurer l'avenir du monument
situé sur son territoire.
En attendant, les
visiteurs feraient bien de s'abstenir de jeter
çà et là, autour de la grotte, les
débris de toutes sortes provenant de leurs repas.
Les enfants peuvent se blesser sur les tessons de
bouteilles et les boîtes métalliques vides
qu'ils n'aperçoivent pas toujours en prenant leurs
ébats. D'autre part, c'est un désordre,
-pour ne pas dire une malpropreté,- qui choque
l'oeil et enlève au paysage une partie de son
charme.
L'Ermitage de la
Serre, qui occupe un site pittoresque en l'un des points
les plus élevés de la forêt, à
l'intersection de plusieurs vallons boisés, est
sans contredit un des plus remarquables du Jura par son
antiquité et sa forme. Il mérite
d'être mieux connu et surtout d'être
conservé.
"monographie de
moissey." par Edmond Guinchard pages 181 à 187.
Paul Audebert, imprimeur-éditeur, Dole,
1913.