village de moissey (en plein dedans)

autour de la libération de moissey

Copie de mon cahier journal, par Bernard Grebot (né en 1923).

la première décade de septembre 1944

Le dimanche 3 septembre 1944.

Ce fut pour nous la première journée qui marqua le début de la libération. Depuis quelques jours déjà, les Allemands en retraite sillonnent les routes. La Résistance qui jusqu'ici n'a mené qu'une action réduite, s'emploie à harceler l'ennemi.

 

Ce dimanche 3 septembre,

jour anniversaire de la déclaration de la guerre, fut marqué par un incident qui aurait pu mal finir.

Une voiture des FFI était arrêtée en haut, à l'entrée Nord du village, en face de chez Marcel Guillaume, quand des voitures boches font apparition dans la direction de Dole et ouvrent le feu sur les FFI qui, pour éviter des représailles sur le pays, se replient sans tirer. Les Boches ne s'en tiennent pas là, et en redescendant le village, ils tirent sur tous les passants qui peuvent se trouver dans la rue. On entend les coups de mitraillette depuis le centre du village, les coups se rapprochent et finissent bientôt pas nous atteindre. Mon père, au salon de coiffure, sort vite pour fermer les volets, mais il est mis en joue par un sale boche qui lui lâche une rafale de dix balles qui s'aplatissent autour de lui, contre le mur, sans faire de victimes, mais bien qu'une balle "ait passé" entre les jambes de mon père, perçant derrière lui la porte d'entrée. Moi j'étais en train de m'habiller dans ma chambre pour aller à la messe, en voulant regarder par la fenêtre, je fus pris par une rafale de trois balles qui percèrent mon plafond au-dessus de ma tête et une brisa un carreau. En face de ma chambre, le Boche balance une grenade dans la maison du maire, (Ernest Odille, père de Madame Turchetto) dans une pièce, pulvérisant l'armoire à glace. André Guillaume, un peu curieux lui aussi, sort sur le seuil de la porte de son atelier de menuiserie, et il est chaleureusement accueilli par trois ou quatre rafales de mitraillette soit quatorze balles, mais aucune ne l'atteint. La rage des Boches s'arrête et ils reprennent la route de Dole sans laisser de victimes, par miracle. Après ces quelques instants troublés, les jeunes du pays gagnent le bois par crainte de représailles. Les Boches ont pourtant mis le feu à une voiture qui brûle en haut du village. Mais après quelques heures, tout est calme.

 

Le lendemain matin, lundi 4 septembre,

les colonnes défilent toujours sur la route de Besançon. Les avions alliés mitraillent sans esprit les convois, on les entend depuis ici ronronner et piquer en mitraillant sur l'autre versant de la Serre. Notre route n'est pas tellement visée, mais pourtant, aux Quatre Fesses un avion pique sur un convoi. On ne sait si les Allemands sont atteints mais une femme du café des Quatre Fesses est tuée, Blanche Sigonney. Ici, on voit des Boches isolés qui se sauvent à pied en rasant les maisons. Dans la nuit du lundi au mardi, les tanks et blindés remontent sur Gray, des coups de feu sont tirés du bois de Frasne, la colonne stoppe devant chez nous et sur la place. Le maire Ernest Odille et André Ardin sont réveillés et emmenés pour être témoins des larcins que les Boches veulent commettre. Ils prétendent qu'un soldat allemand a été tué. Evidemment, les deux otages ne le voient pas, aussi pour mettre le feu, il faut supposer ce crime, les Allemands les conduisent à la ferme Sigonney. Quarante Boches entourent déjà la maison, pendant que l'officier et un soldat pénètrent à l'intérieur avec deux bidons d'essence et donnent dix minutes par faveur pour que les propriétaires sauvent le bétail. La maison Sigonney est fouillée, retournée. Le maire implore mais l'officier montre qu'il n'y a plus que quelques minutes. Le maire discute, plaide, et supplie tant, que ces braves cochons finissent par céder. Mais ils laissent un sale souvenir en emportant dix mille francs et des papiers. André Ardin m'a relaté ces faits. Il est minuit, depuis ma chambre derrière les volets, j'entends les Boches baragouiner dans la rue et la colonne repart. Impossible de dormir car la course en retraite continue.

 

Le mardi 5 septembre,

vers six heures du matin, un convoi s'arrête et remise les tanks, véhicules dans les ruelles, les cours, les granges : il y en a plusieurs dans notre cour. Vont-ils faire de la résistance, tout le monde en a peur. Plusieurs Boches vont réveiller les gens du quartier pour avoir du café et exigent des lits pour dormir, mais un ordre arrive de partir et brusquement la colonne repart sans laisser d'adresse.

 

Le mercredi 6 septembre

fut plus troublé, on devait voir un grand hangar plein de foin, de gerbes et de paille brûler en deux heures. Deux FFI d'un groupe voisin sont tués sur notre terre de Moissey.

 

Les jeudi 7 et vendredi 8 septembre,

c'est toujours le même défilé, les Allemands se sauvent à pied, en vélo, en remorques, en carrosses, en tombereaux à purin et même en corbillards volés sur leur passage. Ils ne font pas les malins, malgré la rage qui se devine sur leurs gueules, mais ils se taillent. Nous on biche...

 

Le midi, je sors de la cave pour tirer à boire, en sortant de notre cour, je suis presque nez à nez avec un officier boche à pied, qui se barre aussi, comme s'il couvrait la retraite des autres. J'ai eu une grande frayeur. Il tient un révolver de gros calibre collé contre sa cuisse, le canon vers le sol. Moi, mon litre de rouge entre les mains, je stoppe sur place, le Boche a vu que j'ai eu peur, mais lui, je ne l'ai pas effrayé. J'ai pensé que mon compte allait être vite réglé, mais je pense après, qu'il était pressé de rentrer chez lui. Ouf!

 

Le samedi 9 septembre enfin,

on annonce que Dole est libérée et par là, Moissey aussi. Fausse alerte. Michel, gendarme FFI qui allait en mission de reconnaissance, est tué à Montmirey-le-Château et vers 12 h 30, les Boches reviennent et foncent sur Dole avec 14 camions-mitrailleuses, des soldats, couchés sur les ailes des camions, ils vont jusqu'à Jouhe, où il y a un accrochage avec les FFI. Dans la soirée les Boches se replient après avoir infligé de lourdes pertes aux FFI et perdu eux-mêmes pas mal d'hommes. Ils prennent position à Moissey. Avec Rose Ineig, je me trouve en me sauvant par le chemin des vignes, face à un petit canon anti-char que les Boches mettent en place, il y a des bidons d'essence dans le passage de Fort-Griffon. Ils attendent un motif ou un accrochage pour foutre le feu. Nous gagnons le bois par les vignes. Nous allons nous planquer à l'ancienne poudrière, je n'ai pas eu le temps de dire quelque chose à mes parents; lorsque nous entrons dans la grotte de la poudrière, nous trouvons une trentaine de personnes qui ont fait comme nous et qui sont là pour passer la nuit. Le soir, tout est calme.

Les Boches décrochent en direction de Gray et vers dix heures du soir, une grosse déflagration, le pont de Pesmes "est sauté".

 

Ils sont de l'autre côté, pour nous, on ne les reverra plus. C'en est fini du cauchemar!

Bernard Grebot, septembre 1944.

moissey.com

articles de Bernard Grebot

1. Une anecdote sur le Tacot, 1930

2. Une famille de coiffeurs, 1940

3. Autour de la libération de Moissey, 1944

4. A la conquête du Mont Blanc, 1994

portail de moissey.com
e-nous écrire