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à Moissey, maison Malet

Malet, le Dolois
qui défia l'Empire

né le 28 juin 1754 à Dole, fusillé le 29 octobre 1812, plaine de Grenelle, Paris

par Isabelle Perrin

illustrations archives nationales et particulières

journées du patrimoine de pays, visite de la maison Malet, par Isabelle Perrin

voir aussi "la maison Malet" [AB 175]

voir les cartes postales et photos de Marcel Poisot, prises avant 1900
journées du patrimoine de pays, visite de la maison Malet, par Isabelle Perrin (2011)
voir surtout Malet, le Dolois qui défia Napoléon, par Isabelle Perrin (2011)
voir la maison Malet, page de Christel Poirrier (2008)

toutes les pages d'Isabelle Perrin

Claude-François Malet, Général d'Empire, par Maurin, lithographe

Malet, une vie dédiée au complot

 

Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, trois hommes ruisselants de pluie se présentent devant la caserne de la rue Popincourt à Paris et donnent à la sentinelle le mot d'ordre du jour: « Conspiration »! Ironie de l'histoire lorsqu'on sait que ces hommes ont précisément pour dessein de renverser l'Empire!

Le chef de l'opération, portant un uniforme de général de division, vient de s'évader de la maison de santé-prison du Docteur Dubuisson, il se nomme Claude-François Malet et a 58 ans; il s'agit de sa troisième conspiration contre Napoléon Ier, la plus ingénieuse, la plus audacieuse, dont tous les détails ont été minutieusement réglés.

L'idée en est simple: faire croire que l'Empereur est mort frappé d'une balle sous les murs de Moscou, investir de nuit, et par surprise, les lieux stratégiques de Paris (Préfecture de police, Hôtel de Ville, état-major et ministères) avec les troupes de la garnison de Paris et faire mettre aux arrêts les dignitaires de l'Empire. La présentation de faux ordres et de prétendus sénatus-consultes rédigés avec un codétenu, l'abbé Lafon, permettrait de mettre en place un gouvernement provisoire dirigé par Malet.

Deuxième idée de génie: ne pas mettre les complices dans la confidence: leur faire croire au décès de l'Empereur afin qu'ils le suivent sans état d'âme et sans idée de le trahir.

Mais pourquoi cette monomanie de la conspiration?

 

Une carrière chaotique

 La carrière de Malet a toujours été d'une grande irrégularité en raison des circonstances politiques et de sa personnalité instable, rebelle et ombrageuse, oscillant entre une position haute dans l'échelle sociale et un état de presque rien; il a été exclu plusieurs fois de l'armée, pourtant sa raison de vivre, et a fait de Napoléon un ennemi personnel.

Né à Dole en 1754 (actuellement au 11 rue du Général Malet), de petite noblesse, Claude-François de Malet est admis à 17 ans dans le corps des Mousquetaires du Roi; malheureusement, la crise économique que traverse la France entraîne la suppression de la Maison du Roi et le licenciement de Malet, qui se retrouve « retraité » à Dole à 21 ans avec de modestes revenus; pendant 13 ans, ses démarches pour réintégrer l'armée sont inefficaces, et finalement, il renie ses idées monarchistes pour se tourner vers un idéal démocratique et progressiste, prôné par les philosophes des Lumières qu'il a eu largement le temps de lire.

Ses convictions compromettent son projet de mariage avec Melle Denise de Balay. Son père, monarchiste convaincu, envoie celle-ci au couvent à Arbois suite à la découverte de leur correspondance passionnelle et secrète; mais Malet l'enlève le jour de la cérémonie de la prise de voile; elle a 17 ans, lui, 34. Le mariage a donc lieu en 1788; le couple s'installe à Dole pendant 2 ans. Un fils, Aristide, naît de cette union.

Pendant la Révolution, en 1790, il est élu commandant de la Garde Nationale à Dole grâce à ses idées libérales et abandonne alors sa particule. Très remarqué à Paris avec le détachement dolois à la fête de la Fédération, il renoue avec d'anciens camarades devenus influents, réintègre l'armée comme aide de camp et se rend à Metz et à Strasbourg. Il y retrouve un petit-cousin, officier (et compositeur): Rouget de Lisle. Suite à la déclaration de guerre contre l'Autriche, il participe à de nombreux combats, ce qui fait progresser son avancement jusqu'au grade de colonel d'état-major en 1793.

Malheureusement, un décret du Comité de Salut Public expulse de l'armée tous les ex-officiers de la Maison du Roi, Malet en conçoit beaucoup d'amertume et doit retourner à Dole.

La guerre devenant générale, il parvient à réintégrer l'Armée du Rhin puis est réformé en 1795, pour cause de surplus d'officiers dans les états-majors.

Il retrouve son grade un an plus tard en Franche-Comté, mais, dénoncé comme extrémiste ennemi du gouvernement par les députés locaux qui voient en lui un concurrent politique, il est muté à Grenoble et nommé général de brigade en 1799. Sa campagne d'Italie est un succès.

Membre de la société des Philadelphes, société secrète républicaine, il s'oppose au Consulat dès 1799, ce qui lui vaut de nombreuses mutations à Montpellier, Bordeaux, Périgueux, Angoulême et aux Sables d'Olonne où il fait montre de son caractère rebelle et contestataire auprès des préfets locaux; son attitude encourageante auprès de prisonniers d'Etat soupçonnés d'avoir participé à l'attentat de la rue Nicaise visant le Premier Consul irrite celui-ci qui le met à pied en 1805.

Il est rappelé 8 mois plus tard et envoyé en Italie pour faire la chasse aux insurgés, puis se voit attribuer la surveillance des Etats Pontificaux. Il s'installe à Rome dans le magnifique Palais Rinucci; Denise le rejoint avec son fils mais, peu mondaine, regagne bien vite la Franche-Comté.

De réputation honnête, il est pourtant accusé de se faire rétribuer par des tenanciers de maison de jeu et d'avoir ordonné des taxes sur les bateaux de marchandises, système mis en place par son prédécesseur. Dès lors, Napoléon ne veut plus entendre parler de ce « voleur » et le met à la retraite en 1807. Sa carrière militaire est bel et bien terminée; il est humilié, abattu et nourrit une terrible rancœur contre Napoléon.

Sa rencontre avec une bande de conspirateurs républicains en quête d'un général à leur tête est pour lui une révélation: désormais, il conspirera!

 

Premières tentatives de complots

Son premier projet de conspiration consiste à profiter d'un déplacement de l'Empereur en Espagne pour apposer 12 000 affiches dans Paris annonçant la déchéance de Napoléon par le Sénat. Il s'agit de prendre le pouvoir rapidement et de créer une « dictature ». Pour ne pas éveiller les soupçons, on fait fabriquer un timbre portant le mot « diotature » puis on lime la moitié du « o »!

Dénoncé par l'un de ses complices, Malet se retrouve dans un cachot de la terrible prison de la Force. Son désir de revanche et celui de ses codétenus reste intact.

La deuxième fois, on décide de la chute du tyran le 29 juin 1809, jour où le gouvernement assistera au Te Deum à Notre-Dame pour célébrer la prise de Vienne (qui fut en fait une victoire autrichienne...). L'Empereur se trouve à Schönbrunn. Après s'être évadé de la Force, il s'agira de fermer les portes de la basilique et d'annoncer en grand uniforme la mort de Napoléon; surpris, ministres et grands dignitaires s'empresseront d'adhérer au nouveau gouvernement...

Mais cette fois, un détenu placé comme « mouton » à la prison de la Force dénonce Malet à la police; on le transfère à la prison de Sainte-Pélagie, puis dans la très onéreuse maison de santé du Dr Dubuisson, où les détenus font bonne chère et peuvent recevoir des visites.

C'est ici que Malet rencontre un royaliste, l'abbé Lafon, et ourdit sa troisième et grande conspiration.

 

La grande conspiration

Cette nuit-là donc, à 3 h et demie du matin, Malet, accompagné de son faux aide de camp, Rateau, un caporal en permission pensant prendre du galon, et d'un faux commissaire de police, Boutreux, jeune bachelier venu à Paris pour faire fortune dans la poésie, annonce au commandant Soulier la mort de l'Empereur; celui-ci, déjà fiévreux, sanglote, désespéré. A l'aide de ses faux documents, Malet lui ordonne d'aller occuper l'Hôtel de Ville avec sa cohorte et de préparer avec le préfet de la Seine des salles pour la réunion du nouveau gouvernement. Soulier obtempère et confie cette mission au capitaine Piquerel; à 5 heures, la cohorte et les conspirateurs se dirigent vers la prison de la Force et font libérer d'autres complices « malgré eux »: le général Lahorie (par ailleurs grand amour de Mme Sophie Hugo, mère de Victor), le général Guidal et un corse royaliste, Boccheciampe. Ce dernier est nommé par Malet préfet de la Seine.

Lahorie, naïvement, exécute la mission que lui a confiée Malet: avec une soixantaine d'hommes, il fait arrêter le baron Pasquier, préfet de police, et installe Boutreux à son bureau à 7 h du matin. Pasquier est incarcéré à la Force où il retrouve Desmarets, le chef de la Sûreté! Lahorie retrouve ensuite Guidal et le gros des forces de la caserne Popincourt pour arrêter au saut du lit Savary, duc de Rovigo, ministre de la Police qui est aussi dirigé vers la Force, à la grande surprise du directeur de la prison!

Pendant ce temps, le commandant Soulier s'est dirigé avec une compagnie de sa caserne vers l'Hôtel de Ville où il trouve un préfet de la Seine, le comte Frochot, très coopératif pour mettre ses locaux à disposition.

Les autres casernes de Paris sont réquisitionnées pour aller occuper, au nom du nouveau gouvernement, le Palais-Royal, le quai Voltaire, le Sénat, la Trésorerie, les principales barrières de Paris, et la place Vendôme où Malet doit intervenir. A 9 h 45, Malet est maître des trois quarts de Paris.

Deux conjurés lui faussent alors compagnie: le timide Boccheciampe qui se dirige vers l'Hôtel de Ville pour prendre son poste, mais, ne se trouvant pas crédible avec son accent, renonce, et Guidal qui s'octroie une pause définitive dans un estaminet au lieu d'apporter sa précieuse aide avec des troupes de renfort au Sénat, à l'état-major de la place Vendôme et autres lieux stratégiques.

Quant à Malet, accompagné de la 1ère compagnie de la 10ème cohorte, il va réveiller le redoutable général Hulin, commandant de la place de Paris, qui s'est déjà distingué lors de la prise de la Bastille. Celui-ci refuse d'obtempérer, et Malet lui tire une balle dans la mâchoire; il survivra, mais gardera le surnom de général Bouffe-la-Balle...

Malet se rend ensuite chez le commandant Doucet, chef d'état-major, qui se trouve avec le commandant Laborde, adjudant de la place. Ceux-ci démasquent immédiatement l'imposteur, le maîtrisent et le font ligoter... la conspiration est décapitée, mais un certain chaos s'ensuit, car de nombreux hommes continuent d'obéir aux ordres de Malet. Le plus pittoresque est le retour du baron Pasquier à sa préfecture, contraint de se déguiser en femme pour ne pas être arrêté...

Les Parisiens riront aussi beaucoup de Savary, arrêté en chemise de nuit.

 

La répression

 Napoléon, lui, ne rit pas; cinq jours après le passage de la Bérézina, il est mis au courant de tous les détails de l'affaire. Il est ulcéré par la naïveté de ses ministres et hauts fonctionnaires qui ont admis sans résistance l'instauration d'un nouveau régime et effaré de constater que personne n'a pensé à son fils, le roi de Rome, pour sa succession. Il réalise que son Empire, qu'il avait bâti pour 1000 ans, disparaîtra avec lui.

La justice est expéditive, on veut que tout soit réglé avant le retour de l'Empereur.

Malet et 23 des -innocents- protagonistes de l'affaire comparaissent devant le conseil de guerre. Celui-ci prend toute la responsabilité de l'affaire. Quand on lui demande: « qui sont vos complices? », il répond: « La France entière et vous-même, M. le Président, si j'avais réussi. ».

« Quel était le but que vous vous proposiez? » « Rendre ma patrie à la liberté. Faire cesser les guerres entre la France et les autres nations européennes. Instaurer une ère de paix et de prospérité au profit de tous les citoyens. J'espérais que le peuple et l'armée se rallieraient à ce programme du nouveau gouvernement. ».

Clarke, le ministre de la Guerre, met beaucoup d'empressement à organiser l'exécution des condamnés.

Moins d'une semaine après l'affaire, 12 accusés sont fusillés dont Malet, Lahorie, Guidal, Boccheciampe, Rateau, et même Soulier et Piquerel puis Boutreux qui était en fuite. Ils font tous preuve d'un grand courage, on dit même que Malet commanda lui-même le feu. De nombreuses sanctions tombent, de nombreuses personnes sont inquiétées.

 Denise Malet, incarcérée un temps, n'eut de cesse de réhabiliter la mémoire de son mari, avec l'aide de l'abbé Lafon. Celui-ci avait échappé à l'arrestation en devenant professeur au collège de Louhans sous une fausse identité et, sous la Restauration, il eut accès aux archives militaires.

 On peut se plaire à imaginer ce qui serait advenu si cette folle aventure avait réussi....

 

Pour en savoir plus:

Malet, l'homme qui fit trembler Napoléon, d'André Besson

La conspiration de Malet, d'Alain Decaux

 

Isabelle Perrin

Claude-François Malet: gravure exécutée par x, in l'hebdo Les Contemporains, avril 1907, (collection particulière)

Claude-François Malet: gravure exécutée par Gervais en 1846 (post-mortem)

l'exécution du Général Malet et de ses complices, le 29 octobre 1812, plaine de Grenelle, par Jean Duplessis-Bertaux. Noter que l'un des chiens semble ne pas approuver le déroulement des opérations.

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