village de moissey et frasne-les-meulières

 - - - les carrières de pierre meulière - - -

(la moulasse, la crasse)

territoire communal de Frasne-les-meulières

par Christel Poirrier, 1990

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la moulasse

 

Selon Edmond Guinchard, auteur de la Monographie de Moissey, éditée par la souscription des villageois en 1913, le filon d'arkose "accessible" qui est situé au sud du territoire communal serait à l'origine de l'installation à demeure des habitants de Moissey. Cette activité aurait été la principale fondatrice de ce village.

Ces carrières de pierre meulière, quoique souvent décrites comme Carrières de Moissey, se trouvaient en majorité sur le territoire de Frasne, village qui s'appela jadis Frasnes-les-Meulières.

On peut lire dans "l'Histoire de la Franche-Comté" de E. Rougebief de 1851, que "Moissey possède des carrières de marbre et de pierres meulières", indication qui doit être d'importance si on considère que l'autre village du canton qui est nommé à la même page, c'est "Montmirey qui est une ancienne prévôté" alors que de plus, la présence du Massif de la Serre n'est même pas mentionnée.

« Plus loin encore dans l'obscurité des temps, et dès 1358, il est fait mention des meuliers de Moissey. La trace du plus lointain moulin de Dole est datée de 1239", et chaque fois qu'il est question de moulin, il apparaît le nom d'un meulier de Moissey. Au XIVe et XVe siècle, nous pouvons même en dresser la liste » nous a dit l'historien francomtois Jacky Theurot.

On y extrayait et taillait d'abord des pierres cylindriques à écraser le grain ou la terre, les meules. D'où l'adjectif meulier.

La carrière produisait aussi de la pierre à bâtir, des bancs à s'asseoir, des marches d'escalier, des linteaux cintrés, des bornes "cadastrales", des pavés à routes, des auges à cochons et à vaches, des mangeoires pour la volaille, des corps de puits (souvent demi-corps), des réceptacles d'eaux de pluies, des rigoles, et enfin, des sarcophages à décédés.

A Moissey, toutes les soues à cochons sont bâties sur le même modèle : à côté de la porte, l'auge est dans le mur, et donc accessible des deux côtés, c'est-à-dire par le nourrissant et par le nourri. Ces auges, dont il reste de nombreux exemplaires, sont toutes en moulasse et ont des dimensions voisines, c'est-à-dire : 60 cm de longueur, 40 de largeur et 30 de hauteur.

Il faut comprendre que ce conglomérat très serré, excepté son rôle de pierre dure à écraser et broyer, était le matériau idéal à creuser. Il suffisait d'y aller avec patience de son burin et de son marteau pour en faire des récipients inaltérables, non gélifs parce parfaitement étanches. Et si la pièce de pierre éclatait sous le burin, ce devait être bien rare, car telle n'était certainement pas sa vocation.

En dehors de pièces creuses, les hommes faisaient aussi des croix, aux bras élargis, qu'on appelle aujourd'hui "pattées" avec parfois une petite niche de forme ogivale destinée à y abriter vraisemblablement une statuette de la Vierge ou d'un autre Saint méritant.

Sur les 43 croix pattées qui cernent le massif de la Serre, le village de Frasne en compte 7 sur son propre territoire, ce qui oblige à accréditer sérieusement l'idée que c'était Frasne qui était "meulier", plus que Moissey. La carte d'Etat Major de 1889 modifiée en 1913 est limpide sur ce point : les carrières meulières de Frasne sont souvent appelées Carrières Meulières de Moissey bien que clairement situées sur le territoire de Frasne. C'est par un effet de la féodalité que le nom de Moissey ait prévalu sur celui de Frasne.

Nombreuses parmi ces croix sont celles qui sont érigées sur une belle meule en position horizontale.

Le banc d'arkose, sorte de grès vosgien affleure non seulement à Moissey et Frasne, mais aussi sur Menotey, à quelques hectomètres de l'endroit dont nous parlons, ainsi qu'à Serre-les-Moulières, située de l'autre côté du Massif.

Par ailleurs, on retrouve des éléments de la veine un peu partout, en particulier sur le lieu dit de l'Ermitage : en effet, les pierres plates dolmeniques qui composent la célèbre grotte sont de la même nature.

Non loin de là, on retrouve, encore aujourd'hui et très aisément des sablières du même conglomérat (quartzeux et feldspathique) mais dont le liant est bien plus meuble. Ce sable a été abondamment utilisé dans la construction des maisons du village comme mortier pour monter les murs et surtout pour enduire les murs extérieurs. Il faut se rappeler que jadis, contrairement aux usages de maintenant, seuls les plus riches faisaient enduire leur demeure.

Ces sablières sont au nombre de trois, elles ne sont plus en service, et celle qui est la plus proche de l'Ermitage a dû être dynamitée et détruite pour des raisons de sécurité (à l'article titré "la Sablière", on peut lire une partie de son histoire).

La seconde, assez importante, est aujourd'hui sur le domaine privé de M. Marcel Dubuc. Edmond Guinchard écrit en 1913 que "la carrière appartenant à Madame de Matherot fournit un sable excellent pour la bâtisse, mais n'est plus guère utilisée depuis qu'on en a fermé l'entrée par une barrière, pour des motifs d'ordre".

Quant à la troisième, moins profonde, ou moins haute selon comme on parle, elle a été enclose par des particuliers qui ont acheté, à plusieurs, un km2 de forêt à fins de chasse privée. Ce km2 se trouve à l'angle fait par le CD 37 et la partie du Chemin de la Poste qui rejoint la Croix Boyon. La clôture de quatre kilomètres de longueur et de 3 mètres de haut a été l'objet de contestations de la part d'habitants du canton qui militaient en faveur d'un environnement bon et accessible à tous. L'idée attendue et qui pourrait faire un jour jurisprudence, puisque la loi est mal prononcée sur ce sujet, c'est que la forêt, même propriété privée, serait "inclôturable", pour les raisons qu'on devine, de chasse ou de tourisme pédestre, au moins. Peut-être un jour, le législateur considérera-t-il la forêt tout comme l'eau qu'on boit ou l'air qu'on respire ?

Ces carrières meulières sont encore aujourd'hui une véritable curiosité bien que pratiquement plus personne ne les visite, hormis un cavalier par-ci ou un chasseur par-là. L'ensemble se tient sur plusieurs hectares et ne ressemble pas du tout à l'idée qu'on peut se faire de carrières. Il s'agit de trous, comme des excavations de bombes, des trous de forme tronconique -à fond plat de 8 à 15 m de diamètre- et des "terrils", amoncellements de milliers de chutes de la taille, ce qui donne, avec une lumière qui semble pleuvoir verticalement, un paysage très émouvant.

Ce qui ajoute au mysticisme des lieux, c'est la présence de la forêt qui recouvre tout, avec lenteur mais certitude. La forêt de l'endroit avec ses feuilles mortes et ses mousses envahissantes jolies comme des cristaux donne réellement l'impression d'un manteau neigeux, mais résolument vert, avec ses courbes douces et ses chutes arrondies.

Ce spectacle grandiose peut nous faire comprendre le fonctionnement de l'exploitation. Les carriers travaillaient chacun pour soi. Tant mieux si la chance les amenait sur un bloc qui pourrait faire une belle meule ou un beau cercueil. Ils devaient opérer comme les chercheurs d'or, chacun pour soi, mais solidaires dans l'adversité, chacun sa cabane et chacun ses outils, et sûrement tous pour un lorsqu'il s'agissait de sortir de là le chef d' oeuvre, le porter sur charrette ou le rouler dans les chemins creux et défoncés, carrés et profonds comme des canaux, jusqu'au chemin de Moissey à Châtenois ou jusqu'au bord de l'actuelle nationale -qui malgré ce nom prestigieux, n' est aujourd'hui qu'une départementale- appelée 475.

Certains historiens ne se gênent pas pour dire que les sarcophages d'époque mérovingienne qu'ils ont rencontrés çà et là -et même bien plus loin- proviendraient à coup sûr des carrières dites de Moissey et de Serre-les-Moulières. L'une ? l'autre ? Qu'importe. Si ce que dit l'historien est hautement plausible, ce n'est déjà pas si mal, c'est déjà un morceau de la vérité...

Edmond Guinchard, semble avoir connu le dernier des meuliers, puisqu'il écrit qu'il s'appelait Jacques Valot, qu'il avait cessé son activité en 1909, et que selon lui, ces carrières ne donnaient plus que des pierres de pavage.

Quant à Thérèse Sigonney -épouse Noël- elle revoit dans sa mémoire, dans les années 27 ou 28, un grand de Frasne qui se nommait Larivière et qui allait travailler à la "Crasse".

Aujourd'hui, les enfants de l'école du village ont pu découvrir, sur les indications de Lucien Thomas éleveur-chasseur célèbre parmi les siens, une belle petite meule de 80 cm de diamètre et de 15 cm d'épaisseur, à guère plus de dix mètres du chemin de Châtenois. Donc une pièce qui avait été extraite, puis taillée et déjà un peu "déménagée".

Que s'était-il donc passé ici ce jour-là ?

Des historiens notoires ont dit que ces carrières auraient pu être abandonnées à la fin du XIXe siècle, chose qu'on comprendra aisément, si on considère d'abord que bien des matériaux coûteux en travail ont été contraints de se démoder et ensuite que la nouvelle voie de chemin de fer (1901) a pu contribuer largement à accélérer l'extinction de nombreuses activités "autarciques".

à moissey le 29 mai 1990, Christel Poirrier.

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