village de moissey et massif de la Serre

l'arkose

ou, pierre meulière, ou grès vosgien, ou moulasse

par Julien Feuvrier, Conservateur du Musée d'archéologie de Dole, 1920.

article transmis par Jean-Claude Lambert-Romange

autres articles sur l'arkose, les meules, les croix pattées...

une vieille industrie comtoise éteinte
 

extrait de"Revue Franche-Comté et Monts Jura"

1ère année-n°10 Avril 1920

revue régionale fondée en 1919-Directeur Georges GRAFF

 

La montagne de la Serre, d'une altitude maximale de 380 mètres, et orientée du Nord-Est au Sud-Ouest, est située au nord-est de Dole. Ce massif boisé, composé de roches primitives, granitiques principalement, forme un véritable îlot contrastant d'une manière remarquable avec les terrains jurassiques qui l'environnent.

De la comparaison entre les terrains de la Serre et ceux des Vosges et du Morvan, les géologues ont conclu que la montagne de la Serre constitue un trait d'union reliant les Vosges au Plateau Central.

La composition du sol, qui tranche d'une façon si remarquable avec celle des régions environnantes, a pour résultat une flore, sinon toute particulière, du moins rappelant celle de la Bretagne.

En raison de sa constitution géologique et de sa flore, la Serre a été un sujet d'études pour de nombreux savants, surtout franc-comtois.

Ce n'est pas à ce point de vue que nous nous sommes placé en écrivant cet article; nous avons seulement voulu rappeler que, parmi les roches de la Serre, l'une d'entre elles a été l'objet d'une exploitation industrielle pendant des siècles et montrer comment cette industrie jadis prospère s'est éteinte.

Au nombre des roches affleurantes se remarque dans le terrain de Trias, lequel occupe une bonne partie de la superficie totale, l'arkose, qui présente une grande analogie avec le grès vosgien. Cette roche constitue des bancs de 30 à 70 centimètres d'épaisseur, séparés par de minces couches de grès à grains fins. La puissance de ces bancs superposés est de 15 à 20 mètres

Dans une région étendue dont la Serre est le centre, il n'est pas une station de l'époque dite néolithique ou de la pierre polie -laquelle a pris fin 2000 ou 2500 ans avant notre ère- qui n'ait livré au préhistorien des blocs de cette roche utilisés, après préparation, comme polissoirs d'outils ou meules à broyer le grain. Nous voilà donc en présence d'une industrie -à la vérité rudimentaire- qui est, avec celle de la céramique, la plus ancienne de notre pays.

L'extraction des blocs d'arkose se faisait sans doute, à l'origine, un peu partout, mais lorsque, un peu avant l'arrivée des Romains, eut lieu en Gaule l'introduction des moulins à bras, les chantiers paraissent s'être groupés en deux points: vers le village de Serre-les-Moulières et surtout au point de rencontre des territoires des communes de Frasne, Moissey, Menotey et Gredisans.

Après la conquête romaine, une voie s'embranchant à Dole sur la grande voie de Chalon à Besançon se rendait, par Jouhe, à ces dernières carrières où furent, dit D. Monnier (Annuaire du Jura, 1855, p. 161), «trouvés des ustensiles à l'usage des Romains» et allait, près de la bourgade dont on voit au territoire de Dammartin les ruines dispersées sur une grande étendue, rejoindre une autre voie importante, celle de Pontailler à Besançon. Les ateliers de taille se trouvaient ainsi en communication, par Dole avec Tavaux, noeud des voies de la région et par Dammartin, avec Besançon et les pays au delà de la Saône et de l'Ognon.

Lorsqu'au Moyen-Âge fut adaptée aux moulins la puissance motrice des cours d'eau, sur le parcours de toutes nos rivières grandes et petites, même de nos ruisseaux, s'égrenèrent une multitude d'usines à moudre le grain, la plupart fort modestes, comme on peut en juger par les spécimens qui subsistent encore dans beaucoup de petites localités éloignées des villes. Puis survint le régime féodal qui fortifia villes, bourgs et châteaux où, en prévision de sièges, s'installèrent des moulins à bras et à chevaux, lesquels survécurent en Franche-Comté jusqu'à la fin du XVIIe siècle, qui vit notre province entrer définitivement dans le giron de la patrie française. Pendant cette période de douze siècles, les chantiers de la Serre jouirent d'une grande activité, puisque c'est de là que sortirent presque toutes les meules employées dans cette région.

Mais cette prospérité ne devait pas tarder à décliner. Jusqu'à la conquête française, le réseau de nos routes se composait en majeure partie des voies créées pendant la domination romaine. Aussi bien que celles-ci, les rares chemins établis plus tard étaient plus ou moins bien -nous pourrions plutôt dire mal- entretenus, ce qui rendait les transports de marchandises à grande distance difficiles, longs, et par suite dispendieux. La situation allait changer.

Vers 1740, les ingénieurs du roi commencèrent et poursuivirent pendant plus de quarante ans la construction, en Franche-Comté, des grandes artères sur lesquelles roulent aujourd'hui nos voitures automotrices. Les routes nationales de Dijon à Genève, par Dole et Poligny, et de Chalon à Besançon datent du début de cette époque; plus tard se profilèrent les routes de Dole à Gray et de Dijon à Besançon par Pontailler. C'est alors qu'apparurent les rouliers de la montagne jurassienne, les Grandvalliers, qui se mirent à sillonner, avec leurs théories de lourds chariots, les routes de l'Europe occidentale. De ce moment, les meules de Brie vinrent peu à peu supplanter dans nos moulins celles de la Serre.

Vers 1820, les ateliers présentaient cependant encore une certaine activité. Fransquin, dans ses Notes topographiques et historiques sur Dole et son arrondissement, paru en 1822, écrivait (p. 189) que les meules de la Serre se vendaient dans l'arrondissement de Dole «et autres», où les meuniers les préféraient à d'autres et que «ce commerce occupe un grand nombre d'ouvriers et fait circuler l'argent». A partir de ce moment, la décadence se précipite. Rousset, en 1855 (Dictionnaire des communes du Jura, IV, p. 221), dit que l'extraction des pierres meulières «a été à peu près abandonnée depuis quelques années». Au commencement de notre siècle, un seul ouvrier travaillait encore à la carrière d'arkose de Moissey et fournissait des meules pour le broyage des terres à la faïencerie de Nans-sous-Sainte-Anne. «De nos jours, avoue Ed. Guinchard en 1913 (Monographie de Moissey, p. 47), la carrière est presque abandonnée; on n'en extrait plus que quelques pavés».

Aux carrières de la Serre, on ne façonnait pas seulement des meules et des pavés, mais aussi des croix, des bornes, des auges, des marches d'escalier et des moellons de construction. Disons quelques mots des premières.

Avant la Révolution, de nombreuses croix en pierre meulière s'érigeaient sur le territoire des communautés du pourtour de la Serre. On en voyait aux entrées des villages, aux bifurcations de chemins et aux points où ceux-ci changeaient de territoire. Beaucoup d'entre elles ont disparu depuis ; il en subsiste néanmoins encore un certain nombre notamment dans les communes de Montmirey-Ia-Ville, Peintre, Frasne, Chevigny et Menotey. Toutes sont établies sur un même modèle présentant un caractère archaïque. Voici la description de l'une d'elles située près de Menotey, non loin de l'entrée de la forêt de la Serre, sur la voie romaine qui passe aux carrières.

Son socle est une meule de 0,80 m de diamètre et de 0,30 m d'épaisseur. La croix, de 1,14 m d'élévation, est plantée en son centre. Les bras et la branche verticale supérieure ont mêmes dimensions et, par des courbes de grand rayon, vont en s'élargissant à partir de leur commune origine: il en est de même de la branche verticale inférieure, sauf qu'elle est de plus grande longueur. A cette exception près, l'aspect offert est celui, en plus léger, d'une croix de Malte, forme qu'on ne rencontre nulle part ailleurs dans la région.

Peu de mois avant la dernière guerre, nous avons visité la principale des carrières d'arkose, entre Frasne, Moissey et Menotey. Elle s'étend sur une superficie de plusieurs hectares parmi des arbres maigres et clairsemés à cause du manque de terre végétale. Sur ce terrain, tout en trous et en protubérances, où foisonne la vipère, se voient encore, parmi des monceaux de déchets de taille, de petites meules de moulins à bras, rebuts de fabrications séculaires. Un tas de moellons au bord du chemin indique seul qu'un être humain vient parfois ouvrer en ce lieu solitaire.

Julien FEUVR1ER, Conservateur du Musée d'archéologie de Dole.

article découvert et transmis par Jean-Claude Lambert, Romange

autres articles sur l'arkose, les meules, les croix pattées...

Bellair Pierre et Pomerol Charles. "Eléments de Géologie", édition de 1968 par Armand Colin à Paris.

page 128,

Les arkoses résultent de la cimentation d'arènes lessivées de roches éruptives acides. Riches en feldspaths (25% et plus) de couleur claire, continentales en général, elles proviennent du démantèlement de massifs granitiques ou gneissiques.


page 143,

Mollasse ou molasse.

L'étymologie de ce terme est discutée  : sédiment mou (moll...) ou roche servant à faire des meules comme c'est le cas dans certains villages suisses (mol...).

A Moissey, au milieu du XXe siècle, on entendait couramment parler de "moulasse" pour désigner le grès vosgien extrait dans les Carrières Meulières. (NDLR)


page 172,

Roches métamorphiques, série siliceuse :

Les grès purement siliceux se transforment en quartzite. La présence d'un peu d'argile explique la formation de quartzites sériciteux ou choriteux donnant des quartzites à muscovite et biotite.

Les arkoses, initialement très riches en feldspaths se métamorphisent en leptynites, roches très claires, formées essentiellement de quartz et de feldspath où la foliation est en général peu apparente.


O'Donoghue Michael. "Roches et Minéraux" aux Editions Atlas à Paris, en 1991.

la croix pattée (évasée) de Moissey, très travaillée (bifur d'Offlanges, aujourd'hui au chevet de l'église)

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autres pages consacrées aux croix pattées

1. un article de Georges Bélard, maire de Frasne

2. les croix pattées, selon François Rover et Julien Zominy, à Frasne-les-Meulières

3. les croix pattées, le point de vue de Jean Michaud, de Brans

4. les croix pattées de Frasne-les-meulières, en images, par Christel Poirrier

5. le retour de la la croix pattée de Moissey, au chevet de l'église, par Christel Poirrier

6. les croix pattées d'Offlanges, en images, par Christel Poirrier

7. l'article de Julien Feuvrier, 1920

8. les croix pattées du pourtour de la Serre, une autre hypothèse, par Christel Poirrier
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9. les Croix Pattées, de Jean Michaud, in "Trame de vies", bulletins 19, 20 et 21 de la Maison du Patrimoine d'Orchamps

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