village de moissey

souvenirs de Thérèse Sigonney (°1915 +2010)

-épouse de Victor Noël-

doyenne du village jusqu'en 2010

L'appel à témoins de Jean-Claude Thévenin pour Mélanie Célarié

 

Thérèse Sigonney, avant d'habiter à Moissey et de s'appeler Madame Noël, est née à Montmirey-la-Ville, le 14 novembre 1915.

C'est en février 1922 qu'elle s'installe avec sa nombreuse famille (8 enfants, puis 7), à la tuilerie dite la Tuilerie Bouveret. Il s'agit de la tuilerie de ChâteauNeuf qui jouxte au nord le domaine de Mademoiselle Exupère Moréal, célèbre cavalière et célibataire du temps passé (XVIIIe siècle). De cette tuilerie (ZD 104), il restait au moment où elle est arrivée là, en 1922 et il reste encore en 1996, alors que Thérèse va sur ses 81 printemps, des vestiges certains de la réalité d'autrefois, en particulier un hangar de séchage, très caractéristique par son faîtage rehaussé, et des trous dans la pâture, ceux d'où on extrayait la glaise.

Elle a fait ses classes auprès de Mlle Marie-Justine Digrado, dans la classe enfantine du rez-de-chaussée de la petite école (AB 436), puis elle a suivi dans la grande classe auprès de Edmond Guinchard, peu de temps, puis de M. Poussot jusqu'au certificat, à 12 ans, dans la classe de l'immeuble de la Mairie, (AB 191).

Bien plus tard, elle a connu M. Georges Lesnes et M. Henri Lépeule, instituteurs au long cours, puisque ses 4 enfants, un garçon, trois filles, ont fréquenté l'école primaire de Moissey:

Monique née en 1935,

Daniel en 36,

Jacqueline en 40 et

Marie-Claude en mars 42.

 

Le Tacot.

Adolescente, Thérèse Sigonney a pris maintes fois le Tacot pour aller faire des emplettes à Dole, pas aussi souvent qu'aujourd'hui déclare-t-elle. Ses souvenirs sont précis :

"Quand on entendait la machine siffler à Menotey, on avait juste le temps de descendre de la Tuilerie jusqu'à la gare, juste pour accueillir les voyageurs qui descendaient à Moissey.

Le Tacot, c'était une véritable attraction, certainement il était utile aux professionnels, mais nous, nous le prenions pour aller à la ville. Il était rustique et pas rapide, mais nous étions ravies de le prendre.

Nous n'allions pas tous et pas toujours à la ville; de nombreuses personnes confiaient leurs "courses" à la Cossotte, une femme qui s'y rendait régulièrement avec sa charrette en osier. Elle faisait les commissions pour tout le monde.

Et puis, la gare (emplacement AB 46) était le pôle d'attraction du dimanche, c'était un but de promenade et de stationnement, on allait voir qui montait, qui descendait du train; filles et garçons, tous s'y rendaient, c'était en quelque sorte un lieu de rencontres..."

Comme sa famille était paysanne, il lui arrivait souvent d'aller garder les vaches -après le certificat d'études- dans le bois, dans les Carrières Meulières, c'est-à-dire à la limite sud de Moissey et de la Commune de Frasne :

 

La Crasse.

"J'ai bien connu les Carrières de Crasse, avec ses creux et ses bosses, mais elles n'étaient plus en service, mis à part un grand de Frasne, un certain Jules Larivière, qui venait y travailler à pied, autour des années 1927 ou 28".

Puis à 19 ans, c'est l'heure où les grands destins se nouent, elle passe devant le Maire Ernest Odille et l'Abbé Léonide Richard, avec Monsieur Victor Noël, le 29 septembre 1934.

C'est son frère Paul qui la conduit aux autels puisque son père est décédé lorsqu'elle avait 6 ans. Paul, Joseph et Ferréol, sont les trois hommes, ses frères, qui ont fait tourner la boutique agricole.

Dans la maison (ZA 52) qu'elle occupera avec son mari et sa tante, la maison témoin du drame de 1944, il y avait un puits, mais bientôt, Victor installa un groupe pour faire monter l'eau sur l'évier.

 

La sablière (AC 45) de M. Marcel Dubuc,

propriétaire aisé de quelques bois de Moissey, elle s'en souvient bien aussi, Son frère Paul y débardait du bois à mulets ou à chevaux, puis, bien plus tard, les Routiers de la section de Moissey de leur syndicat (fondé par Victor, son époux au moment du Front Populaire), y faisaient le méchoui "syndical" à l'occasion du Ier mai.

D'après Thérèse, ce sont ces mêmes routiers qui sont à l'origine de la transformation de la cave de la nouvelle école (AB 266) en caveau municipal, puisqu'à cette époque, autour de 1970, ils y organisaient parfois le bal annuel des routiers.

Ce dossier avait été monté par Léon Désandes, maire depuis 1965, déjà assisté d' un jeune technicien de la DDE, le futur brillant maire et plus tard Conseiller Général, Bernard Chauvin.

Ensuite des liens s'étaient tissés entre Monsieur Dubuc et la famille Noël. Puis à la mort de Marcel Dubuc, les héritiers se défirent de cette parcelle qui tomba dans la propriété de gens du Haut-Doubs qui la clôturèrent pour raisons cynégétiques.

Le kilomètre-carré ainsi soustrait aux promeneurs du dimanche provoqua un peu d'émotion chez les randonneurs du fait que dans les usages de la Serre, on pouvait être propriétaire de bois, sans jamais grillager son bien.

 

Les Gorges, le lavoir.

Les Carrières militaires des Gorges, qui ont été ouvertes au milieu de la grande guerre, ont dû décamper rapidement, car si en 1925, on voit encore des tas de gravats, en 1935, les dames qui y vont à la lessive ne savent pas toutes qu'elles pataugent à proximité d'une ancienne carrière militaire. Bien que plus éloigné que la Grande Fontaine centrale du village, le lavoir des Gorges attire toutes les lavandières de la rue de Dole, certainement pour des raisons d'habitudes, mais aussi beaucoup parce l'eau de la future Brizotte y est considérablement moins calcaire, ce qui fait bien l'affaire des femmes qui lavent. Le lavoir est couvert, certes, mais il faut s'y rendre avec la brouette chargée de linge et ça, c'est pénible.

Madame Noël ajoute à son propos, et presque malicieusement, que le lavoir des Gorges était un haut lieu d'échanges, d'échanges d'informations et sûrement de commentaires...

 

Les Gorges, la carrière.

C'est cette carrière militaire-là, donneuse de mauvais matériau d'empierrement qui est sur le même filon que le gisement d'Eurite, connu très loin d'ici par les constructeurs de routes, pour la solidité de ses graviers.

 

La carrière d'Eurite, sur le CD 37,

Elle est née vers 1925 et tourne encore à la fin du siècle, en extrayant un porphyre "bleu" de toute bonté mais aussi de toute beauté.

Madame Noël la connaît bien, non seulement parce qu'elle a été ouverte au moment où elle était gamine, mais surtout parce que son mari y avait travaillé au temps de la gérance de Marcel Téliet. Victor Noël, lorrain d'origine, travaillait sur des chantiers de M. Téliet à Valdahon et à Besançon. Il était carrier et il y travaillait à l'entretien. A cette époque, M. Téliet employait pas moins d'une centaine d'ouvriers. Cette carrière qui existe toujours, a été conduite par la famille Pernot de 1960 à 1997.

Victor logeait à la pension Arsène Ardin (AB 71), juste en face de la Grande Fontaine et c'est au cours des déplacements ordinaires dans le village que Victor et Thérèse se sont rencontrés.

Puis, parmi les grands événements qu'a vécus Thérèse Sigonney, il y a la guerre de 40.

les événements de château neuf  

1. Le "feu" à la tuilerie (lundi 4 septembre 1944).

"On n'a jamais caché de résistants à la Tuilerie (ZD 104), c'était beaucoup trop dangereux. Naturellement, quand des égarés recherchaient à rejoindre la ligne de démarcation, la Loue, on les renseignait du mieux qu'on pouvait.

A mon avis, on a dû être dénoncés, vous savez comme c'est dans les petits villages.

Un soir, en pleine nuit même, sont arrivés. à la Tuilerie un groupe d'Allemands, avec le Maire, Ernest Odile, je ne sais pas combien ils étaient. Ils étaient venus pour chercher des résistants qui, croyaient-ils, étaient cachés chez nous. (Enfin, chez ma mère!). Ils ont tout retourné partout mais ils n'ont rien trouvé. Complètement dépités, ils voulaient mettre le feu à la ferme. Ils ont mis en joue mon frère Ferréol, ma mère a pleuré, pleuré.

Pour finir, ma mère leur a montré une lettre de Joseph qui était prisonnier, dans laquelle il mettait qu'il était bien traité. C'est sûrement cette lettre qui les a attendris et ils ont tous disparu."

 

2. Les 2 FFI du monument, (mercredi 6 septembre 1944).

"J'étais aux premières loges, raconte-t-elle.

Le 6 septembre 1944, en début d'après-midi, arrivent de derrière chez nous, comme en provenance de la Roche Tillot, une bande de résistants qui voulaient rejoindre la maison de Marcel Thomas (ZD 138), à Château Neuf, pour y faire cuire une poule. Je leur ai dit de se sauver, que c'était dangereux.

J'étais toute seule, mon frère Ferréol était parti aux champignons, Paul était prisonnier, Joseph aussi et Victor était descendu au village en vélo. J'étais seule avec ma petite Marie-Claude et ma tante. Mes trois autres enfants, Monique, Daniel et Jacqueline étaient à la Tuilerie chez ma mère, cachés au moment de l'escarmouche dans le poulailler ou l'écurie, je ne sais plus.

Au même moment, arrivent du haut des platanes des Allemands qui descendaient le faubourg. Depuis là où ils étaient, ils avaient dû voir quelque chose, aussi, j'ai redit aux résistants qu'on allait tous se faire tuer. Rapidement, les uns se sont couchés dans le fossé, des autres sont allés derrière le tas de bois.

Les Allemands ont brûlé le hangar en face de chez Gilles.

Les Allemands ont brûlé le hangar en face de chez Gilles. On voit la maison de Thérèse, à gauche sue cette image.

Moi, avec ma petite de deux ans et demi et ma tante, je me suis réfugiée à la cave. Pourtant, je m'étais toujours juré qu'en mauvais cas, je n'irais jamais à la cave. Un résistant qu'on appelait Tarzan, m'accompagnait, il s'est caché dans un saloir, on voyait ses jambes qui dépassaient et son fusil était posé à côté. Il y a eu de la pétarade, des grenades ont explosé. Ça a duré une heure et demie, puis plus rien. Le calme avait dû revenir. L'homme qui était caché à la cave m'a dit:

«passez devant, vous êtes une femme, vous ne risquez rien».

Courageux comme il était, je suis donc remontée. Il n'y avait plus personne, un mort [Guy Febvret, né en 1922, de Lamarche-sur-Saône] devant la maison, là où il y avait un gros platane, en face de chez nous, il avait la corpulence de Joseph, et un autre [Paul Ménétrier, brigadier de gendarmerie à Pontailler], qui avait un éclat dans le bras, avait couru en direction des Gorges, mais il se saignait et il est mort peu après.

Puis, un camion qui remontait, un camion allemand, a tout embarqué, il ne restait que du sang.

Ce sont ces deux hommes qui ont leur nom sur le Monument (ZD 139) qui est juste en face de ma maison. [Paul Ménétrier, brigadier de gendarmerie à Pontailler et Guy Febvret, fils du maire de Lamarche] Ma fille, Marie-Claude, qui avait deux ans et demi, dit qu'elle se rappelle encore comme ça avait fait "boum".

J'avais eu un moment l'idée d'observer les événements depuis ma lucarne d'évier, mais je ne l'ai pas fait, allez savoir pourquoi. Et j'ai bien fait, car, quand je suis revenue dans ma cuisine le carreau avait sauté et plus tard, en prenant du linge dans l'armoire de ma chambre, j'ai trouvé une balle, puis le trou de la balle dans la corniche de l'armoire. Si je m'étais mise au carreau, cette balle était pour moi. D'ailleurs, je l'ai encore. Je l'ai gardée!

Pendant cette guerre, nous n'avons jamais manqué, à la campagne, on avait quand même de quoi...

lire de René Delmas, historien du village, le Combat de Moissey

 

enfin 

Lorsqu'on demande à Madame Noël ce qui l'a le plus frappée tout au long du XXe siècle, elle déclare que c'est le progrès, tout le progrès, l'eau, le lave-linge, le frigo, la télé, la voiture et sûrement l'avion, puisque rien que cette année (en 1996), elle est allée trois semaines en Australie pour le mariage de son petit-fils.

Mais elle connaissait déjà l'Indonésie, la Californie, et la Yougoslavie avant les événements...

Je n'ai pas peur de prendre l'avion, dit-elle en souriant.

propos recueillis par Christel Poirrier, le lundi 1er juillet 1996.

 

Le Château Neuf, hameau à la sortie de Moissey vers Dole. Sous la flèche, la Tuilerie.

Le monument, route de Dole, commémore les événements.

Thérèse Noël, aux premières loges...

La maison, témoin, de Madame Noël.

En haut de l'armoire, le trou de la balle.

La beunotte d'où elle a tout vu.

Les maquisards sont arrivés par là... (en gros, l'ouest)

6 septembre 1944

Guy Febvret, tué par les Allemands le 6 septembre 1944, devant chez Thérèse Sigonney-Noël.

©collection Bernadette Grebot-Lormand

6 septembre 1944

Paul Ménétrier, tué par les Allemands, le 6 septembre 1944, décédé au moulin.

©collection Bernadette Grebot-Lormand

Les maquisards sont arrivés par là...

Le cinquantenaire de l'assassassinat, 11 novembre 1994.

L'adjoint au maire, René Delmas, retrace le "Combat de Moissey"

L'appel à témoins de Jean-Claude Thévenin pour Mélanie Célarié

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