tout près du village de moissey, l'histoire de l'art

sur les traces de l'architecte Anatoile Amodru

l'église de Frasne-les-Meulières

par Sylvie de Vesvrotte, ingénieur d'études au CNRS-Lyon

[NDLR: Sylvie de Vesvrotte a publié cet article dans le semestriel n° 30 de décembre 2004, "les amis de la Collégiale" de Dole]

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propos sur l'église de Frasne-les-meulières

 

L'église Saint-Michel de Frasne-les-Meulières se dresse sur un éperon bordé par un haut mur, à la lisière nord du village, et s'impose par son haut clocher aux tuiles vernissées (image 1).

image 1

l'église Saint Michel, vue du nord (sacristie, chapelle nord et escalier)

image 1

l'église Saint Michel, vue du nord (abside, sacristie, chapelle nord et escalier)

Un premier édifice religieux dépendant du chapitre Saint-Jean de Besançon est attesté depuis le XIIe siècle. Cette église initiale fut en effet confirmée en 1148 par le pape Eugène III à Saint-Jean de Besançon. Il n'en reste cependant aucune trace architecturale. Se limitant certainement au choeur actuel, elle fut donc d'abord agrandie au XVe siècle, puis remaniée au XVIe siècle par l'adjonction de la nef unique. La date de 1525 gravée sur un bénitier en pierre situé sous le porche évoque cette campagne de construction. Mais l'édifice est bien vide dégradé: lors d'une visite pastorale en 1651, l'évêque de Besançon trouve l'autel "pollué", c'est-à-dire profané, signe d'une période troublée qui n'épargne pas les lieux sacrés.

En 1695, les deux chapelles latérales sont érigées: celle du côté sud, qui renferme une pierre commémorative dans un des murs, fut fondée par Pierre Fevbre, natif de Frasne, sous le vocable de la Vierge et de Saint Pierre (image 2); celle du côté nord fut fondée par sa mère, Françoise Morel, sous l'invocation de Saint Hippolyte. Ces deux chapelles abritent d'ailleurs les tombes des deux donateurs. La suppression dans les années 1950 d'une grille qui fermait l'entrée de ces chapelles, au XXe siècle, a contribué à leur donner l'allure d'un faux transept. Leur édification a eu l'avantage de contrebuter la force de l'arc doubleau de la travée qu'elles encadrent; les anciens contreforts furent ainsi réduits à l'extérieur.

image 2

pierre commémorative dans la chapelle sud

Les deux sacristies non symétriques furent élevées au milieu du XVIIe siècle de chaque côté du choeur et ces travaux s'accompagnèrent de la disposition d'un nouveau mobilier dans les chapelles et le choeur.

Aujourd'hui, l'église orientée offre un plan allongé avec les deux sacristies qui flanquent le choeur, les chapelles latérales qui contrebutent la nef et les deux volumes arrondis qui jouxtent le clocher-porche.

Mais c'est le clocher qui retient toute l'attention du visiteur par la puissance de sa masse (image 3). Il a été raccordé à l'édifice antérieur par les deux annexes se détachant en quart de cercle. Ce clocher carré présente des angles coupés par des pilastres montant d'un seul élan, suivant en cela la manière d'Anatoile Amodru. Ce détail ornemental allège ainsi sa silhouette de manière heureuse. Le clocher se termine par un dôme dont les quatre angles abattus prolongent les pilastres: une petite pyramide en zinc le coiffe. Ce dôme a été réparé au début du siècle alors que les tuiles colorées et vernissées étaient disposées primitivement en chevrons. Il a conservé sa belle allure aux multiples couleurs mais sa couverture réduite présente maintenant un décor de bandes horizontales. Ajoutons à cela que sa flèche portait autrefois deux boules de dimensions différentes en métal; elles ont disparu lors de travaux en 1930.

image 3

le clocher

Son appareil de pierre calcaire rougeâtre, extraite des carrières de Frasne, s'anime d'ouvertures vraies ou simulées: sur la face ouest, le portail en plein cintre est surmonté d'un oculus dominé par une croix portée par des anges rayonnants. Ce clocher-porche a été construit suivant un projet d'Anatoile Amodru par "Nicolas Pélicot père et fils en 1873" ainsi que l'apprend une inscription -difficile à déchiffrer- au dessus du portail. Le dernier étage, celui du beffroi, est percé de baies géminées en plein cintre. Elles évoquent le Moyen-Age par leurs formes solides. Par son aspect général, le clocher de Frasne-les-Meulières se rapproche fortement de celui de Colonne dont le plan, établi par Amodru, date de 1779. Le beffroi abritait deux cloches dont l'une a été enlevée en 1870 par les Prussiens, la seconde, toujours en place, date de 1822.

L'église fut séparée de la paroisse de Moissey en 1829 et transformée en chapelle vicariale sous l'égide du curé de Peintre; puis, en 1854, l'église Saint-Michel est érigée en succursale, c'est-à-dire en paroisse autonome.

Le clocher-porche en tête de l'église est couvert d'une voûte d'arêtes avec une clef de voûte circulaire sous laquelle la tribune, d'une grande élégance, a été établie (image 4). La nef, vaisseau unique de trois travées, est voûtée d'ogives sur culots. A la seconde travée, les deux chapelles s'ouvrent par un arc en plein cintre orné à la clef d'une volute: celle du nord est voûtée d'arêtes, celle du sud d'ogives sur culots. Le choeur et l'abside à trois pans sont couverts d'une seule voûte d'ogives à six quartiers.

image 4

la tribune

L'église s'est inspirée, comme plusieurs édifices religieux de la région, de l'église des Bénédictins du Collège Saint Jérôme* de Dole qui avait été achevée en 1504. Elle se rattache ainsi à cet ensemble d'églises à nef unique, sans transept, avec croisée d'ogives sur culots. L'église de Frasne atteste ainsi la longévité du style gothique dans les zones rurales à l'âge de la Renaissance (voûtes d'ogives, structure initiale de baies en arc en accolade), mais ce style plus tardif se rattrape dans le dessin des baies de la nef (en arc surbaissé qui englobe les fenêtres à arc en accolade) et des supports (impostes en volute, rosaces aux clefs de voûtes).

Le mobilier de l'église porte la marque du XVIIIe siècle (image 5).

image 5. Carte postale ancienne aimablement empruntée à la collection de la mairie de Frasne.

vue d'ensemble de l'intérieur: le dais de l'autel et la table de communion en fer forgé.

image 5

vue d'ensemble de l'intérieur (en 2005)

Dans le choeur, on peut découvrir de hauts lambris, sous l'aspect de panneaux moulurés en bois vernis, qui se poursuivent le long de la nef. L'un d'entre eux porte la date de 1777, une inscription en latin ainsi que trois initilales "P.F.J." désignant sans doute l'artisan de leur réalisation. Les stalles du choeur sont en bon état avec leurs lutrins orientables (image 5 bis) en fer forgé. Deux d'entre elles, sans doute réservées aux dignitaires ecclésiastiques, sont surmontées d'un dais circulaire orné de motifs de festons comme sur la chaire à prêcher (image 6). Le maître-autel, en forme d'autel tombeau, est en marbre de deux couleurs. Il supportait autrefois un baldaquin supprimé en 1992. La table de communion décorée de calices en fer forgé du XVIIIe siècle a été déposée.

image 5 bis.

un des deux lutrins articulés

image 6

une stalle à dais de bois

image 6

le dais, en gros plan

Au dessus du maître-autel est accroché un tableau représentant le saint Patron du village: l'Archange Saint Michel terrassant le dragon (image 7). La représentation emprunte son modèle à l'oeuvre de Guido Reni qu'elle reproduit de manière fidèle semble-t-il et avec un certain talent (image 8). Cette oeuvre du maître italien a été fréquemment gravée et donc diffusée dans les ateliers provinciaux. S'il était restauré, ce Saint Michel révélerait peut-être une signature. L'ample geste de l'archange, sa silhouette souple, sont rendus avec une touche picturale légère et des coloris bien tranchés.

image 7

Saint Michel terrassant le dragon

image 8

cantique spirituel d'après Guido Reni, XVIIIe siècle (cliché S. de V./R.M.N.)

Dans la chapelle nord se trouvent des Fonds Baptismaux de style rocaille, en marbre de Sampans, décorés d'une Gloire* en bois doré. Le bassin est constitué d'une coquille Renaissance évasée (image 9).

image 9

les fonds baptismaux, chapelle sud

La chapelle sud renferme un confessionnal en fort de quart de cercle datant du XVIIIe siècle. Des motifs de ramages ornent ses écoinçons* et un décor de cannelures dessine une corniche sur toute sa largeur.

image

le confessionnal à va-et-vient

Au dessus de l'arcade permettant l'accès à la chapelle sud se situe une oeuvre du XVIIIe siècle représentant une Vierge à l'enfant, entourée de Saint Pierre et de Saint Claude (image 10).

image 10

Vierge à l'enfant, entourée de Saint Pierre et de Saint Claude

La signature du peintre franc-comtois Claude-Adrien Richard -ou Richarde- (1662-1748) a été découverte lors de sa restauration en 2002. (huile sur toile signée en bas à gauche, hauteur 1,18 m et largeur 1,44 m). Cette oeuvre présente donc la Vierge à l'Enfant assise sur des nuées se situant presque au niveau du registre terrestre. De chaque côté de la Vierge, Saint Pierre et saint Claude de Besançon sont agenouillés dans l'extase de cette apparition; leur nom en lettres majuscules et dorées est d'ailleurs inscrit sous chacune des figures. L'oeuvre est assez étonnante: le groupe de la Vierge à l'Enfant, très recueilli, est tout en souplesse et très intériorisé. La Vierge paraît détachée de la présence des deux saints. Il semble que le peintre ait subi l'influence, dans cette maternité, de l'école de Guido Reni ou des Carrache.

Les deux autres figures du tableau sont, par contre, assez caractéritiques de la manière de Claude-Adrien Richard dont on trouve les peintures religieuses dans plusieurs églises de Franche-Comté. En particulier, les deux saints sont dotés de ces amins assez larges aux longs doigts effilés que l'on rencontre chez Claude-Adrien Richard, et, présentent un type de visage anguleus aux traits saillants. La figure de Saint Claude est particulièrement réussie avec un beau visage plein de caractère, envahi d'une barbe et chevelure abondante qui se fondent ensemble. Il relève certainement d'un modèle qu'il reste à identifier.

Dans le haut de la nef, des pierres tombales, dont certaines datent du XVe siècle, s'insèrent dans le dallage du sol et renferment des coprs de prêtres et de notables, particulièrement issus des familles Febvre et Richardot.

Le côté gauche de la nef abrite une belle chaire à prêcher en bois, surmontée d'un abat-voix hexagonal. Elle est sommée d'un ange jouant de la trompette, (image 11) annonciateur de la Parole. Les quatre faces de la cuve sont réservées aux quatre évangélistes selon une iconographie traditionnelle. Sa partie inférieure est joliment travaillée en pyramide inversée (image 12). Saint Jean-Baptiste, vêtu de sa peau de bête, se trouve sculpté en faible-relief sur le dosseret.

image 11

au sommet de la chaire à prêcher, un ange jouant de la trompette

image 12

image 12

L'édifice inscrit à l'inventaire des Monuments Historiques en 1988 a subi de 1998 à 2002 une campagne de restauration qui a surtout concerné son architecture extérieure. Ses volumes d'une grande pureté ont été ainsi remis en valeur. Son intérieur est en relativement bon état, les bancs du XVIIIe siècle ont même été conservés. Emettons simplement le voeu qu'un jour, le Saint Michel du maître-autel, retrouvera lui aussi l'aspect qu'il avait au XVIIIe siècle.

sylvie de vesvrotte-décembre 2004

Eléments de bibliographie:

- J. Theurot et col. A la découverte de Dole et ses environs, éditions Horvath, 1989, pp. 109-110.

- Abbé P. Lacroix, Eglises Jurassiennes romanes et gothiques: histoire et architecture, Besançon, 1981, n° 51.

- R. Tournier, les églises comtoises, leur architecture des origines au XVIIIe siècle, Paris, 1954.

- Jean-Louis Langrognet, l'oeuvre de l'architecte A. Amodru, bulletin de la société d'émulation du Jura, juin 1990, pp. 70-97.

 

Nous adressons nos remerciements à la mairie de Frasne-les-Meulières ainsi qu'à Madame Thérèse Rover pour son aide précieuse.

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